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“Drive-Away Dolls” d’Ethan Coen


 

Film américain d’Ethan Coen (2023), avec Margaret Qualley, Geraldine Viswanathan, Beanie Feldstein, Joey Slotnick, C. J. Wilson, Colman Domingo, Pedro Pascal, Bill Camp, Matt Damon, Connie Jackson, Annie Gonzalez, Gordon MacDonald, Sam Vartholomeos, John Menchion, Miley Cyrus, Phil Nardozzi, Terri Middleton… 1h24. Sortie le 3 avril 2024.



Geraldine Viswanathan



Aujourd’hui séparé de son frère aîné Joel qui a fait quant à lui cavalier seul avec une relecture sombre de Macbeth (2021), Ethan Coen marche sur les traces de leur œuvre commune au sein de laquelle il se concentrait plus particulièrement sur l’écriture et la production. Il se lance avec Drive-Away Dolls dans une trilogie placée sous le signe de la série B et du lesbianisme conçue cette fois en compagnie de son épouse Tricia Cooke, monteuse de formation, qui sera suivie d’un deuxième opus intitulé Honey Don’t ! On y retrouve le goût des frères Coen pour les personnages décalés, les situations baroques et aussi ces cadres familiers de l’Amérique profonde que sont les diners, les motels et ces routes sans fin. Avec cette figure centrale que constitue un couple de filles en vadrouille dans un environnement hostile où les autochtones rétrogrades se révèlent parfois aussi redoutables que les truands qui les poursuivent afin de récupérer leur bien mal acquis. Un Road trip qui assume son caractère queer sans jamais l’ériger en discours militant, mais plutôt sur le registre d’un cinéma d’exploitation aujourd’hui disparu qui renvoie à deux maîtres du genre : Roger Corman pour l’efficacité d’exécution et Russ Meyer pour l’obsession sexuelle récurrente. L’intrigue policière n’est ici qu’un simple prétexte utilisé pour justifier les rebondissements incessants de cette course poursuite au bout de nulle part qui constitue évidemment aussi une parabole sur l’Amérique actuelle en proie à la force des ténèbres réactionnaires qu’incarne la candidature de Donald Trump aux élections présidentielles et le cœur de son électorat composé de suprémacistes blancs, complotistes et autres laissés-pour-compte.



Margaret Qualley et Geraldine Viswanathan



Drive-Away Dolls s’inscrit dans la lignée d’un autre film ultra-référentiel conçu naguère par un trublion du cinéma américain : Boulevard de la mort (2007) de Quentin Tarantino. Des œuvres sous l’influence de la face la moins noble du Nouvel Hollywood des années 70 qui associent un décor immuable à une intrigue nourrie de stéréotypes. À cette nuance près que le film d’Ethan Coen place essentiellement sa modernité sous le signe des mœurs et s’attache à deux copines dont l’une est sûre de son homosexualité, tandis que la seconde se montre plus mesurée et se débat à travers des questionnements identitaires appuyés. Deux personnages incarnés par des comédiennes très justes : Margaret Qualley, la fille prodigue d’Andie MacDowell vue dans la série “The Leftovers”, et l’Australienne Geraldine Viswanathan associée surtout jusqu’alors à des films d’auteur confidentiels. Un tandem qui réussit à imposer ses contrastes complémentaires dans un environnement hostile peuplé de ploucs aux réactions parfois déconcertantes qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’atmosphère délétère d’un des meilleurs films des frères Coen : leur adaptation du roman de Cormac McCarthy No Country For Old Men (2007), située quant à elle en 1980 de part et d’autre de la frontière mexicaine. Dans un cas comme dans l’autre, le contexte n’agit que comme un révélateur, en l’occurrence ici à un véritable questionnement existentiel qui peut paraître dérisoire quand on a des tueurs aux trousses, mais propose ici une réflexion plus vaste sur une Amérique en perte de repères. On peut aussi exempter ce film de ces arrière-pensées et le considérer comme un pur plaisir jubilatoire et régressif, à l’image de sa valise de godemichés.

Jean-Philippe Guerand








Joey Slotnick, C. J. Wilson et Colman Domingo

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