Film français de Thomas Cailley (2023), avec Romain Duris, Paul Kircher, Adèle Exarchopoulos, Tom Mercier, Billie Blain, Xavier Aubert, Saadia Bentaïeb, Gabriel Caballero, Iliana Khelifa, Paul Muguruza, Nathalie Richard, Jean Boronat, Nicolas Avinée… 2h08. Sortie le 4 octobre 2023.
Adèle Exarchopoulos
La nuit a dévoré le monde (2018) de Dominique Rocher, La nuée (2020) et Acide (2023) de Just Philippot, mais aussi évidemment Titane (2021) de Julia Ducournau ont rendu crédible l’hypothèse d’un cinéma de science-fiction français digne de ce nom. Une brèche dans laquelle demande désormais à s’engouffrer une nouvelle génération soucieuse d’ajouter un supplément d’âme à un domaine qui joue moins sur la réflexion que sur le spectaculaire au sein de la production anglo-saxonne dominante. Thomas Cailley en réalise en quelque sorte aujourd’hui la synthèse idéale avec Le règne animal. Il nous entraîne dans un futur proche où certains humains se trouvent en proie à des mutations génétiques qui contraignent la société à les confiner dans des réserves protégées et ceux qui sont préservés de cette malédiction à fuir pour éviter de se voir contaminés à leur tour. Le film débute d’ailleurs par un immense embouteillage et le mouvement de panique que déclenche l’apparition d’un spécimen d’une espèce indéterminée qui s’échappe du fourgon dans lequel il était détenu, sous les yeux d’un père et de son fils eux-mêmes porteurs d’un terrible secret qui les menace dans leur chair. Le ton est donné. Le réalisateur des Combattants (2014) et de la série “Ad Vitam” marque son territoire en abordant la science-fiction d’un point de vue délibérément humain et en s’attachant à l’impact de phénomènes irrationnels sur les sentiments et le fameux “vivre ensemble” devenu un slogan politique.
Paul Kircher et Romain Duris
Le règne animal s’attache à un dérèglement de la société qui renvoie les humains à leurs pulsions primitives et à de purs réflexes de survie face à des phénomènes irrationnels. Avec pour objectif ultime un retour à l’état sauvage qui va évidemment à l’encontre des prédictions les plus utopiques, le plus souvent guidées par une soif de progrès aussi insatiable qu’illusoire. Thomas Cailley a composé pour illustrer son propos une famille formidable, avec un père campé par Romain Duris, une mère frappée par la malédiction et leur fils atteint de stigmates inquiétants qu’incarne Paul Kircher, révélé par Christophe Honoré dans Le lycéen. Un trio qui s’impose par son évidence et dont le réalisateur s’attache à souligner la complicité fusionnelle à travers d’infimes détails. Parti pris d’autant plus essentiel qu’il ancre en permanence ce film d’anticipation dans un écrin d’intimité décrit comme l’ultime protection contre l’inconnu et ses manifestations les plus imprévisibles. Aux deux extrêmes : la gendarmette que campe avec humour Adèle Exarchopoulos et un impressionnant homme-oiseau qu’incarne le toujours surprenant Tom Mercier dans une variation singulière autour du rêve d’Icare. Cailley respecte toutefois les lois du genre avec une ambition assumée et un sens du suspense et du tempo à toute épreuve. On sent qu’il connaît les classiques de la science-fiction sur le bout des doigts, de L’île du Docteur Moreau à La planète des singes, mais qu’il entend rester maître de ces mutations, sans jamais laisser les effets spéciaux submerger cette histoire de société fracturée dans laquelle une famille réplique par son unité à la malédiction qui la frappe progressivement. Avec en filigrane un éloge du droit à la différence qui fait écho au fameux « I’m Not an animal » d’Elephant Man, mais a le bon goût de balayer le sentimentalisme et de substituer au traditionnel Happy End une ouverture vers l’inconnu. Sans pour autant lorgner vers une suite, comme l’aurait impliqué n’importe quelle productions hollywoodiennes.
Jean-Philippe Guerand
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