Film français de Yann Gozlan (2023), avec Diane Kruger, Mathieu Kassovitz, Marta Nieto, Amira Casar, Grégory Fitoussi, Élodie Navarre, Romain Fleury, Yun Lai, Adrien Malvoisin, Aleksandra Yermak… 2h. Sortie le 6 septembre 2023.
Diane Kruger
Yann Gozlan est décidément fasciné par l’aéronautique, ainsi que l’attestait son précédent film, Boîte noire (2021), dans lequel Pierre Niney devait élucider les causes d’une catastrophe aérienne. L’héroïne de Visions est cette fois une pilote de ligne en proie à des phénomènes qui la dépassent. Son métier l’exposant à des changements incessants de fuseaux horaires et de lieux, elle a de plus en plus de mal à se réadapter à un quotidien pourtant d’une normalité rassurante, dans la vaste maison où elle vit avec son mari médecin, mais où l’absence d’enfant manque à son bonheur. Le jour où elle croit reconnaître une femme avec laquelle elle a entretenu naguère une liaison torride, ses principaux repères s’effondrent et sa raison commence à vaciller. Dès lors, tout lui semble suspect, sans qu’elle soit capable de distinguer la réalité de ses fantasmes les moins avouables… Comme son sujet le suggère, Visions est un pur film d’atmosphère qu’on ne peut apprécier qu’en renonçant à ses repères les plus cartésiens le temps de la projection. On se croirait revenu à l’époque où certains cinéastes stylistes affectionnaient de broder autour de situations quotidiennes afin de piéger des personnages en les poussant à perdre la raison et à divaguer pour mieux les manipuler dans des variations sophistiquées à partir de la réalité la plus prosaïque. Avec cette question récurrente induite par le cinéma freudien des années 40 et 50 qui a engendré tant de joyaux du film noir : victime ou coupable ?
Diane Kruger et Mathieu Kassovitz
Égarée dans ce dédale labyrinthique dont Saul Bass en personne aurait pu ordonner les élégantes volutes géométriques, Diane Kruger perpétue dans Visions cet archétype de la blonde qu’Alfred Hitchcock a illustré sous les traits de Grace Kelly, Eva Marie Saint, Janet Leigh, Kim Novak ou Tippi Hedren. Sous sa douceur apparente et l’harmonie de son visage, brûle une véritable angoisse, constamment à la limite de la folie. Yann Gozlan ne la quitte pas d’un plan. Comme pour mieux nous enfermer dans la spirale qui la mène vers la déraison où le moindre détail semble suspect. Elle semble de plus en plus isolée, même avec d’autres, qu’il s’agisse de ses collègues ou de son compagnon que campe Mathieu Kassovitz dont chaque ébauche de sourire jaillit comme une menace sinon une agression. Avec aussi ce poids des réminiscences inconscientes qui devient obsessionnel et où l’image d’une femme aimée ne cesse de la hanter en provoquant des réactions de plus en plus irrationnelles, jusqu’à l’irruption de celle pour qui elle l’a quittée naguère. Visions porte l’art de la suggestion à son pinacle en nous proposant un voyage sans retour dans l’esprit d’une femme perturbée, sinon frustrée sexuellement, sans s’astreindre pour autant à nous imposer quoi que ce soit un tant soit peu rationnel en guise de conclusion expéditive. À chacun de se faire sa propre idée en s’emparant de cet exercice de style sophistiqué à l’extrême qui n’a d’autre but que de nous entraîner deux heures durant dans une autre dimension, en rendant sa primauté à la mise en scène en tant que telle. Il suffit pour cela de suivre notre guide dans ce jeu de piste virtuose balisé d’apparences trompeuses, comme il se doit, mais peut-être aussi un peu vain.
Jean-Philippe Guerand
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