Cadejo blanco Film guatelmaltéco-américano-mexicain de Justin Lerner (2021), avec Karen Martínez, Rudy Rodríguez, Brandon López, Pamela Martinez, Juan Pablo Olyslager, Rudy Wilfredo Urrutia, Heriberto Ochoa, Esteban Reynoso, Yolanda Coronado… 2h05. Sortie le 23 août 2023.
Rudy Rodríguez et Karen Martínez
Notre connaissance de l’Amérique latine est due pour une bonne part à l’essor du cinéma mexicain qui a fourni de nouvelles ressources à Hollywood au cours des deux dernières décennies à travers trois auteurs devenus des réalisateurs à succès : Alejandro G. Iñárritu, Alfonso Cuarón ou Guillermo del Toro. D’autres ont choisi de rester pour témoigner de la réalité sociale de leur pays, à l’instar de Michel Franco et Carlos Reygadas. En Amérique centrale, le cinéma est encore sous perfusion occidentale et notamment européenne, à l’instar de Tengo sueños eléctricos de la réalisatrice costariciennne Valentina Maurel, sorti il y a peu ou de Clara Sola de sa compatriote installée en Suède Nathalie Álvarez Mesén qui décrivent des mœurs encore primaires. En découvrant Infiltrée de Justin Lerner, on découvre que la situation du Guatemala n’a pas grand-chose à envier à celle du Mexique. Car même si son auteur est de nationalité américaine, ce qui lui confère sans doute un recul supplémentaire, son troisième long métrage est une immersion réaliste dans un pays peu connu dont les valeurs cardinales ont été sapées par la violence et la misère. Il y met en scène l’itinéraire d’une jeune femme à la recherche de sa sœur aînée qui va devoir se faire accepter dans un gang pour s’approcher de la vérité, quitte à tirer un trait sur ses bonnes manières et sacrifier une bonne part de son innocence. Avec en prime la revendication d’une autorité féminine dont la sexualité est utilisée comme une arme de destruction massive contre le machisme institutionnalisé qui règne dans cette société assez peu perméable à l’évolution des mœurs où l’enjeu consiste à survivre avant même d’envisager de vivre.
Karen Martínez
Derrière son titre accrocheur, Infiltrée nous propose une plongée à haut risque dans un univers comparable à celui des grandes puissance occidentales un siècle plus tôt où règne la misère avec son cortège de malheurs et où la vie d’un humain n’a qu’une valeur très relative. Il y a chez le personnage principal de ce film une indifférence et une détermination qui rejoignent celle de certaines justicières du cinéma américain de la fin du vingtième siècle, de la Gloria de John Cassavetes campée par Gena Rowlands aux créatures vengeresses des films d’Abel Ferrara. Comme l’affirmation grossière d’une identité qui ne peut se satisfaire de nuances inutiles. Lauréat du prix Sang Neuf au festival Reims Polar, Justin Lerner mise tout ou presque sur son interprète principale, toute en retenue et en rage intérieure, Karen Martínez, révélée dans le road movie Rêves d’or (2013) de Diego Quemada-Diez. Il choisit d’éviter de l’ériger en victime ou en bourreau pour en faire un être en quête de rédemption qui va au bout du but qu’elle s’est assigné afin de se mettre en paix avec elle-même. Il s’attache simultanément à suivre l’évolution de ce personnage présenté au début comme une adolescente mal dans sa peau et qui va gagner en assurance tout en s’endurcissant au point de devenir de plus en plus impénétrable pour parvenir à ses fins sans états d’âme apparents. Infiltrée est un tableau de mœurs dépourvu de complaisance qui déjoue pas mal des pièges inhérents à son sujet, à commencer par la tentation de l’héroïsation, avec son caïd qui emmène ses enfants à un anniversaire et ce coiffeur qui exécute les basses œuvres d’un gang.
Jean-Philippe Guerand
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