Film français d’Alex Lutz (2023), avec Alex Lutz, Karin Viard, Jérôme Pouly, Noémie de Lattre, Kenza Fortas, Nicole Calfan… 1h32. Sortie le 5 juillet 2023.
Alex Lutz et Karin Viard
Un soir comme les autres, dans une rame de métro à l’heure de pointe, un homme bouscule une femme qui rend la mouche. Le ton monte et les mots dépassent la pensée de ces deux inconnus qui semblent prendre plaisir à se donner ainsi en spectacle. On les retrouve faisant l’amour derrière le rideau trop court d’une cabine de Photomaton. Ce n’est qu’après cette double entrée en matière paradoxale que ces deux-là vont apprendre à mieux se connaître en bavardant. Par son postulat radical et son respect approximatif de la règle des trois unités, Une nuit permet à Alex Lutz de signer un troisième long métrage qui se démarque résolument des deux précédents : Le talent de mes amis (2015) qui égrenait la plupart des stigmates des premiers films français sur le registre de la convivialité bien tempérée et Guy (2018) qui lui a valu le César du meilleur acteur. Il démontre cette fois sa capacité à transcender une situation minimaliste sans se perdre dans des digressions inutiles ni se noyer de mots. Cet homme et cette femme vont vivre en quelque sorte une histoire d’amour à l’envers et apprendre à se connaître, alors qu’ils ont déjà connu l’extase de la jouissance et l’euphorie d’une dispute qui ressemblait en quelque sorte à une tentative de séduction à l’envers. C’est dire combien ce dialogue qui ne s’autorise que quelques intrusions extérieures sporadiques s’en remet au talent de ses interprètes, d’ailleurs associés dès l’écriture de cette partition à deux voix qui évite de se gargariser d’une logorrhée ronflante, en s’égarant dans des lieux de plaisirs interdits.
Alex Lutz et Karin Viard
Présenté en clôture de la section Un certain regard au dernier Festival de Cannes, Une nuit est bien davantage qu’un simple numéro de haute voltige : un décryptage du nouveau désordre amoureux dans un Paris magnifié. Avec en prime une surprise de taille qui se savoure comme un de ces bonus cachés que recèlent certains jeux vidéo. En passant à la réalisation, Alex Lutz a entériné l’aboutissement de ses deux talents initiaux : l’écriture et la composition que les six saisons de la sitcom Catherine Liliane lui ont permis d’associer étroitement, en tandem avec son complice Bruno Sanches. Il semble désormais paré pour toutes les situations et le démontre ici sur la corde raide des sentiments, en trouvant un savant équilibre entre l’intelligence des mots qui expriment des maux et une atmosphère propice à la divagation, le temps d’une nuit d’été en ville dont le lever du soleil rompra le charme éphémère. La magie de ce moment de cinéma repose évidemment aussi sur un deuxième pilier tout aussi fondamental : la complicité de ses deux interprètes principaux, Karin Viard retrouvant là l’un de ces rôles à effets comme elle en a souvent tenus à ses débuts, avant de succomber parfois à un confort qui l’a fait tourner à un régime indigne de son potentiel. C’est souvent la rançon de la gloire. En offrant ce personnage à facettes à une partenaire nettement plus âgée que lui, dans une salubre inversion des stéréotypes en usage, Alex Lutz l’encourage à la performance avec un altruisme qui reflète aussi leur complicité. Une nuit restera parmi ses meilleurs rôles, au même titre que La nouvelle Ève (1999) de Catherine Corsini, Haut les cœurs ! de Sólveig Anspach ou 21 nuits avec Pattie (2015) des frères Larrieu. Il ne reste plus qu’à espérer que sa composition inspire désormais des auteurs aussi généreux qu’Alex Lutz.
Jean-Philippe Guerand
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