Film américain de Paul Schrader (2022), avec Joel Edgerton, Sigourney Weaver, Quintessa Swindell, Eduardo Losan, Esai Morales, Rick Cosnett, Victoria Hill, Amy Le, Jared Bankens, Matthew Mercurio, Scott Green… 1h50. Sortie le 5 juillet 2023.
Joel Edgerton et Sigourney Weaver
Horticulteur au service exclusif d’une riche propriétaire dont il bichonne les plantations, Narvel Roth doit faire face à un passé sur lequel il pensait avoir tiré un trait à jamais, quand son employeuse, la très distinguée Norma Haverhill avec laquelle il entretient une liaison discrète, lui impose comme apprentie sa petite-nièce Maya, elle-même en rupture avec un passé sulfureux. On reconnaîtra là le fameux thème de la rédemption qui obsède depuis toujours le très raffiné Paul Schrader, scénariste de Taxi Driver (1976) de Martin Scorsese devenu à son tour réalisateur de Hardcore (1979) et de The Card Counter (2021). Il s’attache ici à un homme énigmatique et secret qui s’est réfugié dans la passion des plantes pour rompre avec une jeunesse dissolue et se trouve contraint de sortir de sa retraite pour sauver une ex-junkie confrontée à une situation voisine. Un rôle tenu à merveille par le trop rare Joel Edgerton qui excelle sur le registre du minimalisme intériorisé et dont le physique faussement rassurant dissimule à merveille les tourments les plus intimes de son personnage. Paul Schrader n’est jamais aussi à son aise qu’au-delà du Bien et du Mal. Un No Man’s Land dont son œuvre toute entière s’acharne à investiguer les moindres recoins, parfois avec des références assumées aux textes bibliques, comme dans First Reformed (2017), en plaçant toutefois le curseur à des distances variables, en fonction du contexte et des circonstances.
Joel Edgerton et Quintessa Swindell
En terrain familier, Paul Schrader excelle dans la peinture de ce microcosme niché au cœur de l’un des états les plus exotiques des États-Unis, la Louisiane. Au folklore traditionnel local et au bayou, il privilégie la description sans complaisance d’une contrée déshéritée où zonent des junkies harcelés par des suprémacistes blancs néo-nazis abandonnés à eux-mêmes par une société fragilisée qui se satisfait de ces luttes intestines entre parias. Comme dans la plupart de ses films, Schrader manifeste une certaine empathie pour ses protagonistes qu’il s’ingénie à exonérer d’un destin qui ne constitue en aucun cas à ses yeux une fatalité, mais plutôt une malédiction qui peut être enrayée et doit être déjouée. À travers la grande dame campée par l’altière Sigourney Weaver dans une variation vieillissante et sudiste de la fameuse Lady Chatterley de D. H. Lawrence, qui va devoir placer sous l’autorité de son homme de confiance une brebis égarée, il dépeint également un monde décadent qui refuse de mourir et dont les conventions sociales sont maintenues pour la galerie, tandis que dans l’intimité, le vernis a déjà craqué. Schrader ne triche jamais avec les sentiments, mais il s’accroche à son idée fixe : ce pardon parfois divin auquel ses protagonistes ont la naïveté et la faiblesse de s’accrocher comme à une bouée. Empreint d’une naïveté sincère et de références bibliques qu’assume pleinement son réalisateur, Master Gardener reflète la confusion spirituelle ambiante avec une détermination qui en vient à forcer l’admiration, tant sa foi est de celles qui peuvent déplacer les montagnes.
Jean-Philippe Guerand
Sigourney Weaver et Joel Edgerton
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