Film américano-britannico-chinois de Paul Schrader (2021), avec Oscar Isaac, Tye Sheridan, Tiffany Haddish, Willem Dafoe, Joel Michaely, Billy Slaughter, Ekaterina Baker, Calvin Williams, Amye Gousset, Alexander Babara… 1h52. Sortie le 29 décembre 2021.
Oscar Isaac et Tiffany Haddish
Scénariste des premiers succès de Martin Scorsese (qui a produit The Card Counter), Paul Schrader a connu son âge d’or de metteur en scène le temps d’une décennie comprise entre Blue Collar (1978) et Patty Hearst (1988), avant de s’égarer par la suite dans des entreprises plus contestables d’où émerge un thème récurrent que résume parfaitement le titre français du film qui a marqué son retour en force, mais n’a pas bénéficié pour autant d’une sortie en salles : Sur le chemin de la rédemption (2017). C’est donc avec beaucoup d’attention qu’on guettait The Card Counter dont le personnage principal est un ex-militaire reconverti comme joueur de poker professionnel après une peine de prison qui tente d’effacer les traumatismes du passé et va croiser au cours de sa tournée des casinos un jeune émule désireux de venger son père. Comme souvent chez Schrader, c’est de la rencontre de deux individus que naît l’énergie qui transcende son récit. Avec ici le charisme exceptionnel d’Oscar Isaac en joueur laconique doté d’un pouvoir de mémorisation hors du commun dont le patronyme de William Tell évoque à dessein le spectre de l'archer Guillaume Tell.
Oscar Isaac
The Card Counter puise évidemment dans les tréfonds de l’une des mythologies les plus emblématiques du film noir : le poker, avec ses attributs collatéraux que constituent le bluff et la triche, mais aussi l’attente parfois interminable qui en imprègne la routine éprouvante. Le film prend en cela le contrepoint des traditionnels classiques du genre, du Kid de Cincinnati (1965) de Norman Jewison à L’arnaque (1973) de George Roy Hill. Le suspense ne vient pas des cartes proprement dites, mais conditionne la retenue du joueur impénétrable que campe Oscar Isaac avec une rare élégance. Comme souvent chez Schrader, le plus intéressant se déroule en fait derrière le rideau. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le cinéaste confie à son acteur fétiche Willem Dafoe (c’est leur septième collaboration si l’on excepte La dernière tentation du Christ) le rôle de celui qui établit un lien entre ses deux personnages principaux. Ce film dépouillé s’impose comme l’un des plus réussis de son auteur qui réussit à ramener à notre époque un sujet universel et à faire surgir au moment où l’on s’y attend le moins un traumatisme collectif : celui des actes de torture perpétrés en 2003-2004 par l’armée américaine et la CIA à Abou Ghraib, durant la guerre en Irak. Toute la puissance de The Card Counter repose sur ce double niveau de lecture abyssal.
Jean-Philippe Guerand
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