Kuru Otlar Üstüne Film turco-franco-germano-suédois de Nuri Bilge Ceylan (2023), avec Deniz Celiloğlu, Merve Didzar, Musab Ekici, Ece Bagci, Erdem Senocak, Yüksel Aksu, Münir Can Cindoruk, Onur Berk Arslanoğlu, Yildirim Gücük, Cengiz Bozkurt, Emrah Özdemir, Elif Ürse… 3h17. Sortie le 12 juillet 2023.
Deniz Celiloğlu et Merve Didzar
Un jeune enseignant affecté dans un village de l’Anatolie orientale attend désespérément sa mutation pour Istanbul lorsqu’une série d’événements vient bouleverser ses projets dont une accusation de harcèlement aux effets désastreux proférée par une de ses élèves. De cette contrariété va naître un nouvel espoir en la personne d’une collègue. Aujourd’hui considéré comme le chef de file du cinéma turc contemporain, Nuri Bilge Ceylan a peu à peu imposé un rythme à part en signant des films de plus en plus longs depuis Il était une fois en Anatolie (2011). Avec cette particularité qu’il associe l’art de la fresque à une abondance de dialogues inhabituelle parmi le cercle très restreint des visionnaires dans le sillage desquels il s’inscrit, de Federico Fellini à Theo Angelopoulos en passant par Emir Kusturica. Un tempo qui est devenu sa vitesse de croisière avec Winter Sleep, Palme d’or à Cannes en 2014, puis Le poirier sauvage (2018) et aujourd’hui Les herbes sèches qui affichent tous une durée supérieure à trois heures et partagent une mélancolie contemplative devenue l’un des signes de reconnaissance de leur auteur, par ailleurs coscénariste avec son épouse, coproducteur et monteur de ses films. Son héros est cette fois un homme dont la destinée dévie de la voie qu’il pensait tracée et qu’une rencontre amicale puis amoureuse va bouleverser. Comme si le réalisateur souhaitait nous dire que notre destin ne nous appartient jamais tout à fait et qu’il faut rester ouvert à ses aléas, aussi imprévus soient-ils.
Deniz Celiloğlu et Musab Ekici
Rarement oublié au palmarès cannois, Ceylan a valu cette fois le prix d’interprétation féminine à Merve Dizdar dans le rôle d’une enseignante qui devient malgré elle l’enjeu d’une rivalité amoureuse et va révéler un secret inavouable qui constitue l’un des moments de vérité du film. Le réalisateur turc s’autorise auparavant une scène intimiste audacieuse qui convoque irrésistiblement une référence pour le moins inattendue : Ma nuit chez Maud (1969) d’Éric Rohmer. Autres temps, autres mœurs : il y a plus de similitudes qu’il ne pourrait y paraître entre le fin fond de l’Anatolie contemporaine et Clermont-Ferrand il y a un demi-siècle. À commencer par l’éternité du jeu de la séduction, même si l’amour n’est plus seulement platonique mais bel et bien charnel. Les herbes sèches renvoie une image passionnante d’une Turquie à deux vitesses où Istanbul apparaît comme une sorte d’eldorado par rapport à un pays encore profondément ancré dans ses traditions où apparaissent toutefois des problèmes contemporains auxquels la société civile n’est pas prête à faire face, mais que les réseaux sociaux se chargent de propager à son insu, comme un poison insidieux aux effets dévastateurs. C’est aussi l’intrusion de la modernité dans ce qu’elle a de plus néfaste que dénonce ce tableau de mœurs solidement ancré dans un réel à vitesse variable où la rumeur reste assassine mais progresse à l’accéléré grâce à de nouveaux moyens de communication. Un phénomène dont Les herbes sèches souligne les ravages en montrant l’impact d’une accusation dépourvue de fondement mais couverte par ce nouveau fléau qu’on qualifie de principe de précaution. Au-delà de ces notions à géométrie variable que sont le Bien et le Mal…
Jean-Philippe Guerand
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