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“Élémentaire” de Peter Sohn



Elemental Film d’animation américain de Peter Sohn (2023), avec (voix) Adèle Exarchopoulos/Leah Lewis, Vincent Lacoste/Mamoudou Athie, Gabriel Le Doze/Ronnie del Carmen, Coco Noël/Shila Ommi, Deborah Perret/Wendi McLendon-Covey, Céline Monsarrat/Catherine O’Hara, Kaycie Chase/Mason Wertheimer, Michel Dodanne/Joe Pera… 1h41. Sortie le 21 juin 2023.



Flam et Flack



À Element City, règne une cohabitation exemplaire entre les quatre éléments composant l’univers. L’eau, le feu, l’air et la terre cultivent leurs différences dans une belle harmonie, bien que leurs caractéristiques les empêchent de se mêler les uns aux autres et d’engendre des métissages inédits. C’est dans ce meilleur des mondes que Flam et Flack sont devenus amis. Mais le jour où leurs sentiments changent de nature, rien ne va vraiment plus entre ces tourtereaux fondamentalement incompatibles qui semblent condamnés à se consumer ou à se noyer. On reconnaîtra dans l’audace conceptuelle de ce sujet l’une des caractéristiques du studio Pixar, passé maître dans l’art de donner une réalité tangible aux concepts les plus complexes en concrétisant les théories les plus alambiquées, qu’elles relèvent de la philosophie ou de la mythologie. Lui-même américain issu de la minorité asiatique, le réalisateur d’origine coréenne Peter Sohn exprime à travers ce film des sentiments très personnels qui revêtent une dimension universelle à travers le traitement qu’il leur applique. Il trouve notamment sur le plan esthétique des correspondances inventives qui mettent en évidence les points faibles des uns et des autres, mais les contraignent dans le même temps à prendre des risques pour parvenir à leurs fins et conjurer une malédiction qui ne demande qu’à être déjouée. Avec cette idée corrélative qu’aucune fatalité est impossible à conjurer et que la richesse naît souvent des mélanges les plus audacieux.



Flam et Flack



Au cœur d’Élémentaire, il y a une conviction fondamentale : non seulement les contraires s’attirent, mais ils peuvent s’enrichir respectivement. Cette théorie, le film l’illustre en beauté grâce au soin qu’il apporte à définir préalablement les différentes communautés à travers leurs signes extérieurs les plus reconnaissables : grosso modo, non seulement le feu ça brûle et l’eau ça mouille, mais ça se neutralise en cas de contact trop rapproché, rendant toute velléité de cohabitation aléatoire sinon fatale. Nos Roméo et Juliette sont donc d’authentiques aventuriers qui ont décrété que leur amour était de nature à défier les lois de la physique et à trouver un compromis satisfaisant afin d’éviter de périr dans une noyade ou un incendie. Au second degré, le film de Peter Sohn est à la fois un vibrant plaidoyer pour la tolérance et une démonstration de la puissance de l’amour comme solution ultime pour se jouer des disparités les plus rédhibitoires. Le tout avec beaucoup d’humour, mais aussi une émotion peu commune qui s’accommode parfois de détails infimes que le graphisme souligne avec une singularité plutôt séduisante, quitte à donner à certains dessins une apparence d’esquisses. Élémentaire est un film audacieux non seulement par l’abstraction de son sujet, mais aussi par le traitement visuel que lui applique son réalisateur afin de traduire un concept somme toute assez théorique. Résultat : une célébration poétique qui décrit la différence comme un atout et prône le métissage comme une richesse précieuse. Bref, un vibrant éloge de la tolérance qui va droit à l’essentiel en usant du langage le plus universel qui soit : le dessin. Celui-ci est animé des meilleures intentions et habillé des couleurs les plus expressives.

Jean-Philippe Guerand






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