Plus que tous les autres studios hollywoodiens, Pixar mérite le surnom d’usine à rêves. Qu’il s’agisse de ses franchises (Toy Story, Le monde de Nemo ou Cars) ou des films concepts qui ont façonné son audace et son effervescence en matérialisant des idées et des théories sophistiquées, irrationnelles voire carrément abstraites. Tel est le cas du dernier-né d’entre eux, Élémentaire, qui s’attaque à la théorie des quatre éléments énoncée par certains philosophes grecs présocratiques dont Empédocle, en imaginant une ville où la terre, l’air, l’eau et le feu se côtoieraient en bonne intelligence sans toutefois jamais se risquer à nouer des relations plus étroites que leur incompatibilité fondamentale risquerait de réduire à néant. Un point de départ qui ne peut a priori prêter qu’à un désastre. Et pourtant… Tout l’art de Pixar consiste à tordre le cou aux idées reçues et à trouver des solutions innovantes à tous les problèmes. Jusqu’ici, le champion toutes catégories de ces défis se nommait Pete Docter, grâce à des œuvres telles que Monstres & Cie (2001), Là-haut (2009), Vice-versa (2015) ou Soul (2020) qui représentent autant de défis et répondent à cette sacro-sainte loi selon laquelle l’animation s’avère d’autant plus novatrice quand elle permet de dépasser les limites du cinéma traditionnel, quelle que soit l’audace de ses effets spéciaux. C’est exactement la définition qui convient à Élémentaire, présenté en clôture du Festival de Cannes.. Son réalisateur fait encore figure d’outsider, dans la mesure où il est essentiellement connu pour avoir signé Passages nuageux (2009), un remarquable court métrage situé dans la stratosphère, et Le voyage d’Arlo (2015), une savoureuse chronique préhistorique. Né en 1977, soit seulement deux ans avant les studios d’animation Pixar, Peter Sohn passe à la vitesse supérieure en évoquant la théorie des quatre éléments comme une fatalité. Une histoire universelle dans laquelle il a par ailleurs souhaité exprimer son propre ressenti intime : celui d’un enfant d’origine coréenne qui a appris à s’intégrer au sein de la société américaine au fil des déménagements de sa famille, jusqu‘à y occuper aujourd’hui une place de choix en s’exprimant à travers l’un des arts les plus universels et créatifs qui soient : l’animation.
Dans quelles conditions Élémentaire a-t-il été tourné ?
Élémentaire étant un film d'animation, il a été intégralement réalisé sur ordinateur. Chaque élément qui apparaît à l’écran a dû être généré en partant de zéro. Il s’agit d’une tâche incroyablement ardue qui nécessite une équipe nombreuse et une coordination massive. Dans la mesure où nous avons réalisé le film pendant la période de la pandémie, nous avons été contraints de travailler depuis nos domiciles, en connectant nos ordinateurs en réseau et en constituant des équipes à distance. Inutile de préciser que cela représentait un défi considérable. Cependant, c’est grâce au labeur acharné de nos artistes, à l’ingéniosité de l‘équipe systèmes de Pixar et à la foi de chacun dans ce projet que nous sommes parvenus à le mener à bien.
Quelle est la principale difficulté que vous ayez rencontrée au cours de ce processus ?
Il est toujours incroyablement difficile de trouver la bonne histoire. Et comme celle d’Élémentaire est à bien des égards une histoire extrêmement personnelle, j’ai dû faire face à d’énormes fluctuations émotionnelles au cours de sa réalisation. Il a été particulièrement délicat de trouver le juste équilibre, car je voulais que le film soit compréhensible pour tout le monde, mais aussi qu’il reflète la vérité de mon expérience en tant qu’enfant de parents immigrés dans une grande ville, avec tout ce que cela implique. Je ne pourrais pas être plus fier du résultat final.
Quelle conception vous faites-vous de votre métier de réalisateur ?
C’est à la fois difficile et passionnant. Je pense que la chose la plus importante est de se laisser guider par une bonne étoile ou un thème émotionnel pendant la réalisation du film. Chez Pixar, nous travaillons sur ces films pendant longtemps et il est donc facile de se perdre en cours de route. Mais avec un but précis à atteindre, vous pouvez être confiant dans vos décisions, garder en permanence l’histoire et les thèmes en ligne de mire et vous assurer que chaque décision que vous prenez va dans le sens de ce que vous essayez d’exprimer à travers le film. Mais c'est aussi passionnant parce que vous vous trouvez aux premières loges pour voir tous les artistes de chaque département déployer leurs talents dans le but d‘améliorer le film. C’est la meilleure partie du travail.
Quel est le stade de la réalisation qui vous tient le plus à cœur ?
Honnêtement, je les aime tous ! Une fois que l’histoire est plus ou moins verrouillée, chaque étape de la production apporte avec elle la magie de voir votre film prendre vie. Le story-board et le découpage contribuent à planter le décor. Le département artistique crée ces magnifiques images qui n’existaient jusqu’alors que dans votre imagination. L’animation donne littéralement vie aux protagonistes en assignant à chacun d‘eux son identité. Les effets spéciaux -en particulier pour ce film où nos personnages représentent des effets en soi- rendent le monde vivant et concret. L’éclairage contribue à diriger le regard et à soutenir l’histoire, tout en développant massivement la sensation cinématographique. Et enfin, l’ajout de la bande originale au stade de la postproduction apporte un surcroît d’émotion incomparable. C’est incroyable de voir chaque étape contribuer au film.
Vous sentez-vous des affinités particulières avec d’autres cinéastes ?
Je me sens extrêmement reconnaissant de réussir à réaliser des films et particulièrement chanceux de pouvoir le faire chez Pixar. Je sais à quel point il est difficile de tourner un film et je suis ravi à l’idée de pouvoir partager Élémentaire avec le monde entier.
Pensez-vous que la vulgarisation des nouvelles technologies ait contribué d’une façon ou d’une autre à façonner votre conception personnelle du cinéma ?
Pour Élémentaire en particulier, nous avons dû créer de nouvelles technologies pour donner vie à nos personnages. Dans la mesure où nous devions animer le feu et l’eau en particulier, nos équipes d'animation, d’effets spéciaux et de simulation ont dû travailler en parallèle pour créer des performances crédibles et chargées d’émotion. Nous n’avions jamais rien entrepris de tel chez Pixar jusqu’alors.
Avez-vous déjà d’autres projets en gestation ?
En ce moment, je me concentre sur la promotion d’Élémentaire et une fois que le film sera sorti partout dans le monde, je retournerai chez Pixar au service du développement et je verrai ce qu’il y a en projet. Il existe toujours une nouvelle histoire à raconter et je suis vraiment impatient de découvrir la prochaine.
Propos recueillis par
Jean-Philippe Guerand
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