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“La conférence” de Matti Geschonneck




Die Wannseekonferenz Film allemand de Matti Geschonneck (2022), avec Philipp Hochmair, Johannes Allmayer, Maximilian Brückner, Matthias Bundschuh, Fabian Busch, Jakob Diehl, Godehard Giese, Peter Jordan, Arnd Klawitter, Frederic Linkemann, Thomas Loibl, Markus Schleinzer… 1h48. Sortie le 19 avril 2023.



Johannes Allmayer et Martin Bishop



Voici un film qui tente de mettre des images sur un événement capital dont il n’existe pourtant pas la moindre trace visuelle. Et pour cause. Le documentaire de Christophe Cognet À pas aveugles démontrait récemment encore les efforts considérables déployés par les Nazis pour dissimuler l’ampleur de leurs crimes contre l’humanité et effacer les preuves de ce meurtre de masse que fut la Shoah. La conférence s’attache à la réunion secrète au cours de laquelle des grands dignitaires du Troisième Reich ont mis au point les modalités de l’Holocauste, dans son déroulement comme dans l’effacement méthodique de ses traces, ce qui ne faisait qu’ajouter à son horreur la circonstance aggravante du négationnisme et la promesse de l’oubli. Suprême affront à des martyrs privés de sépulture et dépossédés de leur existence même aux yeux de la postérité. Pendant deux heures de la matinée du 20 janvier 1942, Reinhard Heydrich a convoqué quatorze hommes et une femme dans une villa bordant le lac de Wannsee. Un décor de carte postale pour une planification méthodique de l’horreur absolue qui adoptera l’appellation contrôlée de Solution Finale et aboutira à l’élimination de six millions de Juifs et autres boucs émissaires désignés par Hitler et ses affidés.



Philipp Hochmair



Le huis-clos de Matti Geschonneck s’appuie sur le procès-verbal hautement confidentiel établi par Adolf Eichmann dont on a retrouvé après la guerre la copie détenue par Martin Luther. Il reste en outre circonscrit dans ce lieu unique où ont d’ailleurs été tournés les extérieurs du film qui se déroule en temps réel et ne s’autorise pas la moindre digression. Cet effet de réalité place le spectateur dans une position inconfortable de témoin silencieux face à cette tragédie en train de s’écrire par des fonctionnaires zélés et des militaires disciplinés à l’extrême dont les conséquences se réduiront à un carton final, dans un souci pédagogique à l’usage de celles et ceux qui ignoreraient encore l’ampleur de ce massacre. La mise en scène est ici fonctionnelle, c’est-à-dire dénuée d’effets de style et de numéros d’acteurs. Cette réalité-là dépasse en effet par sa nature les fictions les plus folles et s’inscrit avant tout comme un devoir de mémoire à l’usage de nos contemporains, mais aussi de la postérité. Pas question de juger ses protagonistes. Ils constituent un groupe solidaire lié par sa culpabilité et sa complicité. Il s’agit d’ailleurs sans doute là de la seule façon acceptable de raconter une telle histoire sans attenter à la mémoire des victimes ni glorifier celle de leurs bourreaux guidés par le sens du devoir des fonctionnaires et des militaires les plus zélés. Les dialogues soulignent d’ailleurs par l’usage d’une terminologie bureaucratique la déshumanisation avancée de ces tueurs plus obsédés par leur respectabilité que par l’ignominie de leur “mission”. Il existait jusqu’alors un remarquable téléfilm de Heinz Schirk intitulé La conférence de Wannsee (1984), également en temps réel,  qui connut en son temps une exploitation dans les salles françaises et fit même l'objet d'un remake américano-britannique, Conspiration (2001) de Frank Pierson, également à l’usage du petit écran. Le film de Matti Geschonneck leur succède aujourd’hui comme une nouvelle couche de peinture en recouvre d’autres plus anciennes. C’est en tout cas un devoir de mémoire incontournable.

Jean-Philippe Guerand








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