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“Une femme du monde” de Cécile Ducrocq





Film français de Cécile Ducrocq (2020), avec Laure Calamy, Nissim Renard, Béatrice Facquer, Romain Brau, Diana Korudzhiyska, Amlan Larcher, Valentina Papic, Sam Louwyck, Leonarda Guinzburg, Kim Humbrecht… 1h35. Sortie le 8 décembre 2021.



Laure Calamy



La représentation cinématographique de la prostitution au cinéma a emprunté de multiples chemins, comme en témoigne aujourd’hui même le documentaire de Claus Drexel Au cœur du bois. Du Plaisir de Max Ophüls et Casque d’or de Jacques Becker (1952) à Irma la douce (1963) de Billy Wilder, Belle de jour (1967) de Luis Bunuel, La petite (1978) de Louis Malle, La dérobade (1979) de Daniel Duval, La balance (1982) de Bob Swaim, L’Apollonide (Souvenirs de la maison close) (2011) de Bertrand Bonello et les deux versions de Madame Claude (1977 et 2021), le plus vieux métier du monde à fait l’objet de tous les fantasmes et consacré bon nombre de ses interprètes. Il est d’autant plus intéressant de voir des réalisatrices s’en emparer enfin aujourd’hui. Après Sylvie Verheyde, c’est donc au tour d'une autre réalisatrice, débutante celle-là, Cécile Ducrocq, d’aborder ce thème, en le situant dans une région à laquelle le cinéma s’intéresse de plus en plus à travers les films de Marie Dumora (Loin de vous j’ai grandi) ou de Samuel Theis (hier Party Girl et prochainement Petite nature) situés dans une Lorraine désindustrialisée et déclassée. Marie a élevé seule son fils qui a besoin d’être cadré pour ne pas tomber sous de mauvaises influences au moment de choisir son futur métier. Alors elle cherche à gagner toujours plus en vendant son corps pour sauver son âme et l’aider à intégrer une école privée hors de prix. Mais c’est compter sans la force d’inertie d’un adolescent particulièrement influençable et perméable à son entourage qui va s'opposer à elle dans un repli égoïste inhérent à l'âge ingrat…



Nissim Renard et Laure Calamy



Derrière son titre ironique, Une femme du monde est un formidable portrait de femme mûre qui marque la rencontre de Laure Calamy, comédienne reconnue par le grand public grâce à la série “Dix pour cent” et au triomphe populaire cumulé avec le César de la meilleure actrice d’Antoinette dans les Cévennes de Caroline Vignal, avec un rôle qu’elle s’approprie littéralement corps et âme. Longtemps cantonnée à jouer les utilités, cette nature que sa gouaille impose comme le chaînon manquant entre Arletty et Karin Viard, aussi à l’aise dans la comédie que pour jongler avec les grands sentiments, accède enfin au foisonnement des premiers rôles et déploie ici tout l’arsenal des émotions sur un registre d’autant plus périlleux qu’il figure parmi les archétypes du cinéma. Véritable mère courage confrontée à un univers qui n’a rien d’aimable, la prostitution sous ses aspects les plus sordides, y compris dans ces maisons closes allemandes où règne un abattage sordide et institutionnalisé. Cécile Ducrocq n'occulte aucun de ces aspects, mais elle accorde une importance équivalente aux efforts désespérés de cette femme pour assurer un avenir plus souriant à son fils, y compris contre sa volonté à lui. Toujours en cloisonnant ses activités lucratives et son cadre intime dans un réflexe schizophrénique attendrissant. L’argent a beau ne pas avoir d’odeur, mieux vaut ignorer ses relents.

Jean-Philippe Guerand





Laure Calamy

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