Accéder au contenu principal

“Au cœur du bois” de Claus Drexel




Documentaire français de Claus Drexel (2021) 1h30. Sortie le 8 décembre 2021.






Claus Drexel a de la suite dans les idées. Ceux qui l’intéressent vivent généralement en marge de la société, ou plutôt Au bord du monde (2013) pour reprendre le titre du premier de ses documentaires. Il semble par ailleurs plus à l’aise pour filmer la réalité, comme il a pu le faire en suivant les supporters de Donald Trump dans America (2018), que pour la transformer en fiction, comme il s’y est attelé maladroitement dans Sous les étoiles de Paris. Au cœur du bois s’attache à la population transsexuelle qui se prostitue sous les futaies du Bois de Boulogne. L’une après l’autre, ces femmes qui naquirent souvent hommes évoquent leur quotidien avec une franchise aussi déconcertante que réconfortante et racontent comment ils et elles en sont venus à exercer le plus vieux métier du monde, seuls contre tous, pour des salaires de misère, dans des conditions souvent précaires et avec cette menace permanente que représentent les forces de l’ordre depuis que l’État a rendu la prostitution illicite en l’exfiltrant des zones urbaines, comme si pour vivre heureux, il fallait vivre caché. Au fil de ces témoignages recueillis face caméra, ces dames confient leurs états d’âme et témoignent des contradictions d’une société qui applique sous des prétextes de moralité hypocrite une double peine où la pénalisation des clients n’apparaît que comme un moyen d’en tirer un profit pécuniaire.






D’entrée de jeu, Au cœur du bois s’appuie sur un dispositif esthétique assez sophistiqué qui associe un cadre en Cinemascope à des cadres très travaillés. Pas question pour Claus Drexel de sacrifier à une esthétique au rabais avec caméra cachée, images volées et plans racoleurs. Le réalisateur a mis six ans à faire aboutir ce projet dont le principal écueil était l’hésitation des intervenants à se livrer à visage découvert (même si l’un d’entre eux se présente muni d’un masque) dans leur “cadre professionnel”, à savoir installé sur une chaise, un fauteuil ou un canapé devant un paysage bucolique. Un parti pris affirmé qui contraste avec la teneur de leurs propos, amer, acide, nostalgique voire cocasse. Ces prostituées évoquent leurs origines, leur parcours de vie, la pénalisation de leurs clients et autres risques liés au plus vieux métier du monde. De ces portraits croisés affleure le sentiment d’une marginalité solidaire dont notre société puritaine détourne les yeux, sans toujours mesurer qu’elle répond d’abord à un besoin, mais ne cadre pas toujours avec un schéma politique préétabli, une interviewée soulignant combien Charles Pasqua s’est révélé moins répressif que Nicolas Sarkozy, parmi les ministres de l’Intérieur étiquetés à droite. Mais le film se garde bien d’en tirer une quelconque morale et laisse s’exprimer avec une grande capacité d’écoute ces dames du bois de Boulogne dont les autorités tendent à nier le rôle social et même sanitaire.

Jean-Philippe Guerand








Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract