Film suisse de Frédéric Baillif (2021), avec Claudia Grob, Anaïs Uldry, Kassia da Costa, Joyce Esther Ndayisenga, Charlie Areddy, Amélie Tonsi, Amandine Golay, Sara Tulu, Frédéric Landenberg, Merlin Landenberg… 1h50. Sortie le 9 mars 2022.
Les foyers d’accueil sont devenus depuis quelques années des lieux d’élection du cinéma. Deux mois tout juste après Placés de de Nessim Chikhaoui, c’est de Suisse que nous arrive La mif, présenté l’an dernier à la Berlinale : la chronique d’une cohabitation cahotique dans un établissement spécialisé pour adolescentes qui recueille en quelque sorte toute la misère du monde, sous la responsabilité bienveillante d’un personnel éducatif parfois débordé qui doit réaménager en permanence un espace vital raisonnable entre ses responsabilités professionnelles et son implication personnelle. Première constatation, et elle n’est pas innocente, le film est décrit selon les observateurs comme un documentaire relevant de ce fameux cinéma du réel ou comme une pure fiction. La vérité se situe très exactement à mi-chemin entre ces deux théories et doit cet effet d’hyperréalisme à l’approche de Frédéric Baillif qui a consacré beaucoup de temps à s’immerger dans ce milieu et à recruter puis à préparer ses jeunes interprètes à un tournage en mode guérilla destiné à faire émerger des conflits et des antagonismes qu’on jurerait spontanés et impulsifs. Une méthode efficace au service d’un propos d’autant plus complexe que c’est l’institution elle-même qui est menacée de disparition, suite à un dysfonctionnement qui met en évidence un statut administratif précaire et passablement rétrograde aux conséquences incalculables.
Tout l’intérêt de La mif repose sur la fraîcheur de son interprétation et une approche délibérément dépourvue d’artifices où le romanesque n’apparaît que comme un attribut accessoire. Chacune des pensionnaires de ce foyer doit se débattre tout à la fois avec un vécu souvent pesant sinon douloureux et une cohabitation pas toujours aisée avec ses compagnes d’infortune, sous la protection de plus en plus illusoire d’une directrice pétrie de bonnes intentions, mais atteinte par la limite d’âge qui en est venue à considérer ses pensionnaires comme ses propres filles et entend ne les lâcher dans la vie réelle que lorsqu’elles lui semblent parées des armes nécessaires pour pouvoir se défendre et même se battre. Le scénario proprement dit est composé de séquences mettant en présence les unes et les autres dans des confrontations réglées pour que la vie réussisse à s’insinuer largement au sein d’un cadre préétabli où la fiction se laisse submerger par la vérité des sentiments. La caméra se montre quant à elle aussi discrète que possible, en s’attardant sur les visages et les gestes de ces gamines montées en graine qui s’affirment à travers des réactions épidermiques dans un éternel conflit d’egos sur fond de détresse intime. La mise en scène de Frédéric Baillif excelle à capter ces précieux instants de vérité sans la moindre tentation voyeuriste. Telle est la puissance de ce beau film dont le titre sibyllin ne doit pas constituer un obstacle, mais plutôt une incitation à la curiosité envers une jeunesse cabossée qui ne demande qu’à s’intégrer dans la société. Quant à cette fameuse “mif”, c’est un diminutif de la famille qui englobe l’entourage proche de chacune de ces filles.
Jean-Philippe Guerand
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