Accéder au contenu principal

“Anatolia” de Ferit Karahan



Okul Tıraşı Film roumano-turc de Ferit Karahan (2021), avec Samet Yıldız, Ekin Koç, Mahir İpek, Nurullah Alaca, Cansu Fırıncı, Melih Selçuk, Münir Can Cindoruk, Dilan Parlak… 1h25. Sortie le 8 juin 2022.






Dans un pensionnat perdu dans les montagnes de l’Anatolie orientale, des enfants kurdes subissent un régime sévère qui ressemble parfois à un lavage de cerveau lorsque leurs enseignants turcs les contraignent à nier l’existence du Kurdistan où ils sont nés. Le jour où son copain Memo est victime d’un mal inexplicable, Yusuf doit faire face aux autorités pour le sauver, quitte à jeter le trouble parmi un corps enseignant impitoyable. Au-delà du régime carcéral imposé à ces gamins d’une douzaine d’années, Anatolia choisit ce cadre pour évoquer les humiliations infligées par le régime ottoman à sa minorité kurde, sans qu’aucune autre nation ne réagisse à cette discrimination institutionnalisée. La mise en scène se met constamment au service d’un récit romanesque qui contourne habilement les pièges du manichéisme en instaurant un trouble rehaussé par la situation géographique de ce lieu coupé du monde, qui plus est en proie à une tempête de neige.






Lui-même pensionnaire pendant six ans dans son enfance, au début des années 90, Ferit Karahan brille tout particulièrement par sa direction d’acteurs, notamment ses jeunes interprètes qui sont tous non-professionnels, ce qui lui permet d’aborder par la bande un sujet éminemment politique en restant toujours à la hauteur de ses gamins perdus dont il ne se lasse pas de filmer les visages expressifs. Sélectionné en 2021 dans la section Panorama de la Berlinale, Anatolia est un tableau de mœurs acerbe qui brode autour d’un décor souvent exploité au cinéma : le pensionnat, avec son cortège de contraintes et de brimades qui favorise les conflits et l’impunité, d’autant plus que celui-ci est coupé du monde. Ce film réglé au cordeau bénéficie d’une esthétique particulièrement soignée et nous présente un aspect de la Turquie des montagnes filmée en d’autres temps par Yilmaz Güney et Nurit Bilge Ceylan. Comme le paysage mental d’un régime autoritaire qui a érigé la force et la domination comme les armes de dissuasion massive d’une stratégie de la terreur étatique.

Jean-Philippe Guerand





Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract