Film américain de Clint Bentley (2025), avec Joel Edgerton, Felicity Jones, Kerry Condon, William H. Macy, Nathaniel Arcand, Alfred Hsing, Clifton Collins Jr., Paul Schneider, John Diehl, Ashton Singer, Rick Rivera, David Paul Olsen, John Patrick Lowrie, Rob Price… 1h43. Mise en ligne sur Netflix le 21 novembre 2025.
Felicity Jones
Toute une vie. Tel est le postulat de Train Dreams, l’histoire d’un bûcheron dont les arbres abattus ont servi à construire des traverses de rails donc à faire avancer le chemin de fer. Un homme pas tout à fait comme les autres qui a eu la chance de rencontrer un jour celle qui est devenue la femme de sa vie, Gladys (Felicity Jones), et de fonder un foyer en accueillant la plus belle des filles, avant que ce beau rêve ne se brise brutalement et ne vienne hanter ses nuits pour l’éternité. Au terme de son existence besogneuse, l’orphelin Robert Grainier disparaîtra sans laisser la moindre trace tangible de son existence sinon quelques souvenirs chez certains de celles et ceux qu’il a rencontrés. Le deuxième film de Clint Bentley, cité à l’Oscar cette année pour sa contribution au scénario de Sing Sing de Greg Kwedar (qui lui a d’ailleurs rendu la politesse), s’attache au passage du temps et à ces bribes éphémères que nous abandonnons malgré nous après notre passage sur la terre. Il adopte une forme impressionniste pour mieux souligner notre insignifiance par rapport à l’éternité et parsème son récit d’infimes détails. Train Dreams s’insinue parmi les moments les plus anodins de l’existence, ceux qui ne semblent pas compter et qui créent parfois des habitudes malgré nous. Bien malin qui pourrait résumer l’existence d’un tel personnage. C’est pourtant le propos de ce film inspiré par un bref roman de l’écrivain Denis Johnson intitulé “Rêves de train” (Christian Bourgois, 2007) qui lorgne irrésistiblement du côté du cinéma de Terrence Malick première période par son caractère élégiaque et la façon dont il dépeint la communion de certains êtres humains avec la nature et plus particulièrement les arbres. Cet écrivain a déjà inspiré au cinéma Jesus’ Son (1999) d’Alison Maclean d’après son recueil homonyme de nouvelles autobiographiques. Comme la quête d’un refuge hermétique au bruit et à la fureur. La ville, son anti-héros ne la découvrira qu’in extremis, à la façon d’une planète interdite dont l’ignorance lui a permis de vivre dans son propre jardin d’Eden en reproduisant les mêmes gestes à l’infini.
William H. Macy
Robert Grainier est un être bienveillant dans un monde qui ne l’est pas. Lui trace simplement sa route en s’efforçant de vivre en communion avec la nature et d’éviter de se mêler de ce qui ne le regarde pas, tout en apprenant des anciens et en s’imprégnant de ses rencontres. D’ailleurs, dans ce film qui raconte sa vie, les événements les plus significatifs se déroulent hors champ. À l’instar de ces travailleurs asiatiques précipités dans un ravin par des “patriotes“ qui s’imaginent sans doute ainsi accomplir un acte de bravoure patriotique en réponse au bombardement japonais de Pearl Harbor. Notre homme, lui, est ailleurs. Loin de la foule déchaînée. Dans les cauchemars qui agitent ces nuits et une passivité endémique qui le verra se déplacer vers le Nord-Ouest au fil de son existence, quitte à s’arrêter à une soixantaine de kilomètres de l’Océan Pacifique sans pour autant avoir la tentation de découvrir son immensité, lui, l’être minuscule dont l’existence est vouée à l’oubli. D’un coup, c’est comme si ce film en osmose avec la nature évoluait dans sa propre cosmogonie pour souligner ce que l’être humain a de fragile et de dérisoire quand on le rapporte à l’univers dans lequel il s’inscrit le temps d’une poignée de décennies. C’est la beauté du pari de Clint Bentley : réussir à filmer le passage d’une étincelle promise au néant qui, jamais, ne tente même de prolonger son existence ni de perpétuer sa flamme. Et quand il s’éteindra dans son sommeil, à l’automne 1968, il n’aura jamais acheté d’arme ni utilisé un téléphone de sa vie, mais il aura vécu des émotions autrement plus exceptionnelles que la plupart de ses contemporains. Ce personnage, Joel Edgerton l’incarne avec la retenue qu’il a déjà su imposer dans les deux films qu’il a tournés sous la direction de Jeff Nichols, Midnight Special et Loving (2016). Il s’agit sans doute de son plus beau rôle à ce jour.
Jean-Philippe Guerand




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