Mother Film belgo-macédono-suédo-dano-indien de Teona Strugar Mitevska (2025), avec Noomi Rapace, Sylvia Hoeks, Nikola Ristanovski, Marijke Pinoy, Ekin Corapci, Labina Mitevska, Vala Noren, Akshay Kapoor, Somnath Mandal, Amrita Chattopadhyay… 1h44. Sortie le 3 décembre 2025.
Teona Strugar Mitevska ne fait décidément rien comme tout le monde. En s’attaquant à la figure iconique de la future Mère Teresa qui n’est encore que sœur, la réalisatrice macédonienne de Dieu existe, son nom est Petrunya (2019), née elle aussi à Skopje, ne pouvait pas signer un biopic conventionnel, y compris sur une intouchable sacralisée de son vivant. Son film s’arrête d’ailleurs au moment précis où sa lointaine compatriote Anjezë Gonxhe Bojaxhiu bascule dans sa propre légende et revêt pour la première fois la tenue qui la rendra célèbre, ce sari blanc à liseré bleu associé à la congrégation des Missionnaires de la Charité qu’elle a fondée en 1950. Pas question d’hagiographie dans ce portrait d’une sainte en devenir. Son interprète en dit d’ailleurs long sur l’esprit qui a présidé à cette entreprise. Il s’agit de la comédienne suédoise Noomi Rapace, devenue une star internationale en personnifiant à l’écran l’enquêtrice vedette Lisbeth Salander héroïne de la saga Millenium. Nul mieux qu’elle ne pouvait parer la sainteté de son modèle d’une punkitude avant l’heure. Son interprétation s’inscrit logiquement au sein de la démarche d’une réalisatrice qui n'a cure des conventions et plus encore des bonnes manières. Pour elle, Mère Teresa est l’aboutissement d’un itinéraire singulier qui a poussé une jeune fille albanaise à partir au bout du monde afin de traduire en actes sa philosophie de la vie, sans jamais se soumettre à quiconque. Avec rien moins qu’un Prix Nobel de la paix et une canonisation à la clé.
Noomi Rapace, au centre
Teresa revendique une facture subversive pour évoquer l’itinéraire d’une figure tutélaire de la religion catholique qui se définit par des choix existentiels radicaux associés à un caractère bien trempé, le temps des sept jours déterminants de 1948 au cours desquels elle a décidé de rompre avec son couvent de Calcutta pour mettre sa foi au service de la misère la plus criante. Non seulement Noomi Rapace en donne un portrait de jeunesse qui ne cadre pas vraiment avec l’image diffusée par les médias à la fin de sa vie, mais la mise en scène de Teona Strugar Mitevska s’articule délibérément sur des ruptures et des anachronismes assumés, à l’instar du rôle dévolu à la bande originale disruptive composée par le Danois Flemming Nordkrog et Magali Gruselle. Comme si sous la rigueur et la pureté, résonnait une colère sourde contre un ordre coupé de la vie réelle. Le film hasarde par ses partis pris audacieux des hypothèses quant à la véritable nature d’une femme de foi qui s’est consacrée à Dieu pour faire le bien autour d’elle et se porter au secours des plus nécessiteux, qui plus est sur une terre étrangère dominée par d’autres croyances et en proie à un système de castes suicidaire. C’est ce constat qui explique les choix de Teresa, l’audace véritable du film étant plus formelle qu’idéologique et ne faisant que livrer une interprétation de cette révélation subite, et en aucun cas subie, qui a engendré une sainte atypique dont l’hagiographie reste à raconter à l’usage de ses dévôts et admirateurs.
Jean-Philippe Guerand




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