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“Mektoub My Love : Canto due” d’Abdellatif Kechiche



Film français d’Abdellatif Kechiche (2025), avec Shaïn Boumedine, Ophélie Bau, Jessica Pennington, Salim Kechiouche, André Jacobs, Hafsia Herzi, Alexia Chardard, Dany Martial, Marie Bernard, Delinda Kechiche, Lou Luttiau, Kamel Saadi, Athénaïs Sifaoui, Meleinda Elasfour, Roméo de Lacour… 2h14. Sortie le 3 décembre 2025.



Jessica Pennington



La destinée d’Abdellatif Kechiche est pour le moins singulière. Palme d’or 2013 pour La vie d’Adèle, il décroche les César du meilleur film, du meilleur réalisateur et du meilleur scénario pour L’esquive en 2005, puis La graine et le mulet en 2008. Il entreprend en 2017 la trilogie Mektoub, My Love avec Canto uno, et provoque un scandale sur La Croisette deux ans plus tard avec Mektoub, My Love, Intermezzo et une très complaisante séquence de fellation qui semble sonner le glas de sa carrière en empêchant la sortie du film, phénomène rarissime dans l’histoire du cinéma français qui a pour conséquence de réduire son auteur à un silence qu’on a toutes les raisons de croire ferme et définitif. Jusqu’au moment où, soudain l’été dernier, il présente à Locarno Mektoub, My Love : canto due, le pan final de sa trilogie. Sous le soleil de Sète en 1994, on retrouve Amin qui abandonne ses études de médecine et décide de tenter sa chance dans le cinéma, tandis que sa copine Ophélie hésite entre son fiancé parti en Irak et l’amant dont elle est enceinte. Un héros vertueux malgré lui qui comprend ce dont il ne veut pas en se contentant d’observer les agissements de son entourage. Kechiche boucle la boucle en achevant son film peu ou prou comme il a commencé (il y a déjà huit ans !), à travers le regard de cet Amin un rien décalé par rapport aux mœurs de ces années 90 qui retrouvaient le goût de la jouissance comme pour cicatriser des terribles années sida.



Salim Kechiouche, Shaïn Boumedine

et Jessica Pennington



La comédie de mœurs permet au metteur en scène de renouer avec ses automatismes sans dérapage ni voyeurisme, en confirmant son incroyable virtuosité lorsqu’il s’agit de saisir les petits riens du quotidien et d’écouter battre les cœurs. Il s’impose en cela comme un héritier de John Cassavetes par sa façon de faire durer les plans et d’isoler des instants de vérité au beau milieu d’une scène. Kechiche s’accroche à ce que ses confrères abandonnent sur la table de montage au profit de ces moments de vérité qui s’épanouissent à partir de ce qui était écrit. De la montagne de rushes tournée en 2016 est né un film qui sonne juste comme la vie. Une chronique sentimentale dont l’anti-héros est un observateur passif qui charme par sa légèreté et sa fraîcheur en remettant sur les rails l’un des plus grands cinéastes français de son temps, alors même qu’on le croyait perdu. Son retour constitue une excellente nouvelle dans un cinéma français où les jeunes auteurs tardent à s’affirmer et où leurs aînés sont pour certains réduits au silence en raison d’accusations d’agressions sexuelles plus ou moins avérées, de Benoît Jacquot à André Téchiné, en passant par Jacques Doillon et Philippe Lioret. Ce Mektoub, My Love : canto due s’attache à la rencontre d’Amin avec un producteur américain et sa jeune épouse sur fond d’adultère. Le jeune homme guidé par son désir de se lancer dans le cinéma sait toutefois faire la part des choses, là où ses copains nourrissent des ambitions nettement plus prosaïques et tentent de tirer parti de la situation pour assouvir leurs pulsions. Cette chronique baignée d’autobiographique et inspiré par l’écrivain François Bégaudeau donne l’impression que Kechiche a retenu les leçons de ses dérapages et de ses errements antérieurs pour renouer avec une certaine sérénité. Et même si les images de ce film datent de près d’une dizaine d’années et que son action se déroule encore auparavant, on y retrouve le sens exceptionnel du moment qui caractérise ce cinéaste impressionniste et instinctif, toujours à l’affût des moments de vie les plus spontanés. Au terme de cette diète forcée, il lui reste maintenant à capitaliser sur ce nouvel élan. Mais les temps ont changé et l’AVC dont il a été victime au printemps dernier ont indéniablement modifié la donne…

Jean-Philippe Guerand






Ophélie Bau, au centre

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