Film français de Romane Bohringer (2025), avec Romane Bohringer, Clémentine Autain, Eva Yelmani, Josiane Stoléru, Liliane Sanrey-Baud, Raoul Rebbot-Bohringer, Philippe Rebbot, Richard Bohringer, Jeanne Ferron, Aurélien Chaussade, Delphine Berger Cogniard, Ken Miyazaki, Jean-Luc Audy, Yvan Dautin, Françoise Clavel, Céline Sallette, Julie Depardieu, Elsa Zylberstein, Dominique Frot… 1h32. Sortie le 3 décembre 2025.
Liliane Sanrey-Baud et Eva Yelmani
Tout a commencé par une rencontre : celle de l’actrice et réalisatrice Romane Bohringer avec la députée Clémentine Autain. Pas pour des raisons politiques, mais en raison du livre que cette dernière a consacré à sa mère top tôt disparue, la comédienne Dominique Laffin (1952-1985) qui fut au tournant des années 70 l’un des plus grands espoirs du cinéma français dès sa troisième apparition à l’écran dans Dites-lui que je l’aime (1977) de Claude Miller. Ce même titre que sa fille a donné à son livre et dont Romane Bohringer a baptisé son premier long métrage en solo, après L’amour flou, le film et la série autobiographiques qu’elle a réalisés avec son ex-compagnon Philippe Rebbot. Résultat : un subtil entrelacs de documentaire et de fiction où les deux femmes se contemplent comme dans un miroir afin de percer le mystère de ces deux femmes brisées qui leur ont donné la vie avant de s’éclipser sans les voir grandir. Une enquête comme on les aime où les regards croisés finissent par converger vers un même but et où les absentes qui ont décidément toujours tort reviennent à la vie à travers des photos, des extraits de films et même des saynètes de fiction recréées. Il a fallu qu’elle se regarde à travers le regard d’une autre pour que Romane Bohringer assume son envie de comprendre pourquoi elle avait été élevée par son père, Richard, dont l’intervention pudique se révèle déchirante d’émotion, et qui donc était réellement cette Marguerite Bourry d’origine corso-vietnamienne qui les a purement et simplement abandonnés pour aller vivre avec des amis, alors même son bébé n’avait que neuf mois. En réveillant ces spectres, cette quête mémorielle prend l’allure d’un véritable exorcisme et nous renvoie tous à nous-mêmes et à nos secrets de famille les mieux cachés.
Marguerite Bourry
Dites-lui que je l’aime illustre la capacité actuelle du documentaire à se sublimer en explorant de nouvelles pistes et en pratiquant une sorte d’hybridation créative dont les ressources paraissent désormais infinies. Une démarche d’autant plus passionnante qu’elle sort des sentiers battus du cinéma traditionnel et s’affranchit de fait des prévisions et des contraintes qui conditionnent la fabrication et plus encore le financement d’un documentaire, en rendant caduque toute tentative de déclaration d’intention préalable. La beauté du film de Romane Bohringer est indissociable de son processus de création tortueux. En quête de réponses, la réalisatrice se lance dans un film sur le mal de mère de Clémentine Autain et se retrouve bientôt confrontée aux questions plus intimes qu’elle a toujours refusé de se poser, pour toutes sortes de raison dont le risque de raviver des douleurs enfouies par son père. La vérité était pourtant accessible sans beaucoup d’efforts. Sa révélation s’avère d’ailleurs bouleversante et contribue à donner au film une dimension universelle, tant le destin romanesque de sa mère reflète les errements tragiques de l’Après-Guerre et de la décolonisation. Du côté de Dominique Laffin, le mystère est d’autant moins épais qu’il s’agissait d’une figure publique sollicitée par les médias, parfois à des moments critiques où affleurait le spleen qui l’a emportée. Romane Bohringer a toutefois eu l’idée de choisir une actrice pour l’incarner dans quelques scènes intimes destinées à faire apparaître son côté obscur sous les traits d’une interprète vraiment bluffante, Eva Yelmani, laquelle réussit la prouesse de s’emparer de son personnage sans lui ressembler vraiment. Il s’agit là d’un des plus grands miracles de cette déchirante histoire de fantômes qui vous poursuit et vous hante longtemps après la fin de la projection.
Jean-Philippe Guerand




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