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“Pompei, Sotto le nuvole” de Gianfranco Rosi



Sotto le nuvole Documentaire italo-français de Gianfranco Rosi (2025) Avec Concetto Leveque, Giorgio Albano, Nunzio Fragliasso, Maria Morisco, Maria Chianese, Sergio Lamagna, Giuseppe Plebe, Abdullah Rahhal, Masanori Aoyagi, Katsuhiro Iwaki, Satoshi Matsuyama, Mariko Muramatsu, Cohe Sugiyama… 1h55. Sortie le 19 novembre 2025.





Célèbre pour la somme documentaire qu’il a consacré aux migrants, Gianfranco Rosi prend cette fois le site de Pompéi pour épicentre d’une chronique de la vie quotidienne de la Campanie. Belle idée à laquelle l’usage du noir et blanc confère une magie particulière, le réalisateur assumant également ici les fonctions de chef opérateur outre celles d’ingénieur du son. À travers cette superbe errance guidée entre Naples et le Vésuve (dont Cocteau affirmait joliment que le volcan engendrait tous les nuages du monde) à laquelle il a consacré trois ans de sa vie, des images de fouilles se mêlent à des éléments du quotidien le plus prosaïque, des pompiers qui répondent aux urgences et des migrants qui exécutent les tâches pénibles, en passant par les archéologues qui explorent le site et les enquêteurs qui poursuivent sans relâche les pilleurs de tombes à l’imagination sans limites. Au-dessous du volcan toujours menaçant, on croise aussi un Ukrainien de passage, un professeur qui lit “Les misérables“ et une équipe de Japonais qui fait émerger une villa enterrée. La photographie signée par le réalisateur en personne est rien moins que sublime, la fumée et la poussière omniprésentes. À l’instar de cette assertion poétique de Jean Cocteau selon laquelle « le Vésuve fabrique tous les nuages du monde ». On ne saurait mieux résumer l’atmosphère qui baigne ce film comme en apesanteur dans un lieu où le présent se nourrit du passé en attendant de pied ferme un avenir synonyme d’éruption. Comme une chronique de la fin du monde.





L’amour du cinéma exsude du moindre plan de ce film, qu’il passe par des extraits de Voyage en Italie (1954) de Roberto Rossellini ou de La Ciociara (1960) de Vittorio de Sica et d’images d’actualité crépusculaires ponctuées de plans de salles obscures à l’abandon. Sa bande son bénéficie en outre de la contribution du compositeur de musique expérimentale Daniel Blumberg qui a obtenu cette année l’Oscar pour la bande originale de The Brutalist de Brady Corbet et que Rosi connaît depuis une quinzaine d’années. Elle reflète ce choc des cultures qu’orchestre le film en montrant à quel point ce lieu unique est impacté par la marche du monde, à commencer par ses conflits lointains agitant la Syrie ou l’Ukraine. Avec en filigrane cet écho entre la traduction de Sotto le nuvole (littéralement Sous les nuages) et le titre d’un des derniers films de Michelangelo Antonioni, Par-delà les nuages (1995). Comme si Gianfranco Rosi avait souhaité par le biais de cette élégie célébrer la pérennité du cinéma italien qu’il admire, à travers deux de ses figures les plus emblématiques. Il n’a pas volé le prix spécial du jury qui lui a été décerné à la Mostra de Venise. Il signe peut-être là son chef d’œuvre et à tout le moins un film appelé à traverser les époques et à témoigner de la beauté terrassante d’un monde particulièrement fragile qui est à la fois figé dans l’éternité par la lave du Vésuve et dont le cœur bat sans doute plus fort que partout ailleurs, tant s’y jouent de défis fondamentaux.

Jean-Philippe Guerand




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