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“On vous croit” de Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys



Film belge de Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys (2025), avec Myriem Akheddiou, Laurent Capelluto, Natali Broods, Ulysse Goffin, Adèle Pinckaers, Alisa Laub, Marion de Nanteuil, Mounir Bennaoum… 1h18. Sortie le 12 novembre 2025.



Laurent Capelluto,  Natali Broods et Myriem Akheddiou



Ce jour-là, Alice a rendez-vous chez la juge des affaires familiales auprès de laquelle elle a sollicité la garde exclusive de ses deux enfants. L’ambiance est électrique. Le père est un être toxique qui sait user de son autorité pour obtenir gain de cause, mais toujours sous une apparence rassurante. La tâche de la mère s’avère d’autant plus délicate qu’elle doit combattre les apparences pour obtenir gain de cause, en évitant tout psychodrame. On vous croit est une tragédie en trois actes. Dans le premier, la mère est avec ses enfants dans une salle d’attente où règne une tentation perceptible. Dans le suivant, elle est confrontée à son ex-mari en présence de la juge, de sa greffière et des avocats des parties adverses, sans communication directe. Dans le dernier, elle attend le verdict comme un boxeur le décompte des points à l’issue d’un combat indécis. D’une situation somme toute assez banale, les réalisateurs Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys tirent un film à haute tension d’où affleurent des non-dits effroyables. Parce que le père est un prédateur à sang-froid qui a appris à se maîtriser, à s’exprimer d’une voix posée et à afficher une contenance rassurante qui tranche avec la fébrilité de son ex-épouse. Formidable incarnation de Laurent Capelluto dont le sourire à peu près imperturbable est d’autant plus saisissant qu’on n’ose pas deviner l’abomination que cache sa fausse bonhomie. Avec face à lui cette mère aux abois qu’incarne Myriem Akheddiou avec autant de douceur que de détermination afin de préserver ce qu’elle a de plus cher : en l’occurrence, la chair de sa chair.



Myriem Akheddiou, Laurent Capelluto

et Marion de Nanteuil



On vous croit : son titre résume l’enjeu de ce film qui se déroule quasiment en temps réel. Une femme se bat pour échapper à l’emprise de son ex et extirper de ses griffes leur dernier bien commun : une adolescente et un petit garçon que la justice prend la peine d’écouter avant d’énoncer une décision lourde de conséquences sur le plan humain. Sur un scénario dépourvu de scories qui arbore la rigueur d’une pièce de théâtre, les réalisateurs préfèrent aux coquetteries de mise en scène une constante attention à leurs interprètes qui passe par des plans de visages récurrents et des silences parfois plus éloquents que ces mots qui ont tant de mal à sortir. Pas question ici de grandes tirades ni de répliques définitives. Les silences, les non-dits et les ellipses compensent les blancs des dialogues. La mise en scène s’appuie sur la suggestion et sur une façon hautement stratégique de ne jamais prononcer les mots qui fâchent pour ne pas risquer de provoquer de choc frontal entre les deux parties. Avec au cœur de ce conflit à fleurets mouchetés deux enfants que tout le monde veille à épargner mais qui sont les premiers concernés par cette joute entre adultes. Le scénario s’avère d’une intelligence et d’une subtilité redoutables par sa rhétorique à toute épreuve. Chaque mot pèse par ce qu’il suggère et implique, la courtoisie étant de règle pour ne pas aller à un affrontement qui risquerait de virer à l’esclandre et de laisser des traces indélébiles en entraînant un cortège de traumatismes durables. Ce film dénué d’esbroufe et d’effets de manche s’impose tout simplement comme un modèle du genre d’une terrifiante vérité.

Jean-Philippe Guerand






Natali Broods, de face

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