Film français de Thomas Kruithof (2025), avec Virginie Efira, Arieh Worthalter, Mama Prassinos, Justine Lacroix, Loup Pinard, Pascal Oumaklouf… 1h42. Sortie le 5 novembre 2025.
Arieh Worthalter et Virginie Efira
Le phénomène des Gilets Jaunes a déjà donné lieu à plusieurs films relevant pour l’essentiel du documentaire. Sans doute parce qu’au-delà des actions spectaculaires qui l’ont caractérisé à partir de de novembre 2018, ce mouvement se caractérisait par l’hétérogénéité des colères qu’il fédérait et son refus de s’apparenter à un parti, à un syndicat voire à une communauté. Thomas Kruithof a décidé de prendre le taureau par les cornes en filmant la chronique d’un couple de la classe moyenne dont l’unité se trouve mise à l’épreuve par cette éruption en forme d’insurrection spontanée. Karine travaille dans une usine agro-alimentaire, Jimmy dirige une petite entreprise de transport qui le contraint à passer le plus clair de son temps au volant d’un camion pour pouvoir éviter la faillite, quitte à prendre tous les risques sous l’effet de cadences infernales. Mais quand le mouvement éclate, le couple se divise quant à l’attitude à adopter et voit ses vingt ans de complicité soumises à rude épreuve. Avec le risque bien réel que ces braises éparses ne se transforment en incendie dévastateur. Dès son premier long métrage, le réalisateur des Promesses et son coscénariste Jean-Baptiste Delafon s’étaient frottés au thème de la politique à l’échelon local. Ils poussent ici le bouchon encore plus loin en dépeignant un pays profond que le cinéma ne montre que très rarement sinon dans des chroniques socio-familiales qui s’apparentent davantage à des faits divers qu’à des études de mœurs proprement dites. L’approche s’avère ici résolument différente par sa volonté d’intégrer l’individu au sein d’un portrait de groupe avec drame, ainsi que le fit en son temps un cinéaste aussi engagé que René Allio.
Virginie Efira et Arieh Worthalter
C’est en montrant la perméabilité de l’individu au collectif que Les braises trouve son équilibre et réussit à montrer cette France des invisibles que les sondeurs et les sociologues eux-mêmes peinent à cerner. Thomas Kruithof mise en l’occurrence sur un couple déjà réuni il y a deux ans dans Rien à perdre de Delphine Deloget : celui formé par Virginie Efira et son compatriote belge Arieh Worthalter, l’inoubliable héros du Procès Goldman de Cédric Kahn. Leur expérience s’impose dès lors immédiatement comme une évidence qui fait gagner pas mal de temps au scénario et instaure entre eux naturellement cette expérience qu’ils partagent depuis des années quand survient ce moment de vérité qui les divise sans vraiment les opposer. À travers eux, le film souligne à quel point ce mouvement spontané a rapproché des gens et en a opposé d’autres, ce qui a d’ailleurs contribué pour une bonne part à l’empêcher de se faire récupérer, mais en a aussi réduit la portée, là où une nouvelle force politique aurait pu en émerger. C’est cet individualisme exacerbé à l’épreuve du collectif qu’appréhende le film avec une grande justesse. Avec aussi cette vision intéressante d’une jeune génération qui semble déjà avoir baissé les bras et trouve son compte dans les réseaux sociaux en substituant parfois le réconfort illusoire du virtuel à un réel moins souriant qui n’ose même plus faire miroiter le Grand Soir. C’est dire combien le message de ce film s’avère essentiel par sa façon de cerner à hauteur d’homme un phénomène de société dont seules les historiens décrèteront plus tard s’il ne s’agissait que d’un feu follet.
Jean-Philippe Guerand




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