Nanjing Zhao Xiang Guan Film chinois d’Ao Shen (2025), avec Liu Haoran, Xiao Wang, Ye Gao, Harashima Daichi, Chuan-jun Wang, Zhener Wang, Yang Enyou, You Zhou… 2h17. Sortie le 19 novembre 2025.
Liu Haoran
Longtemps éclipsé par la Seconde Guerre mondiale, le sac de Nankin perpétré par l’armée impériale japonaise au cours de l’hiver 1937 contre son voisin chinois n’a été que rarement évoqué au cinéma qui peinait à en mesurer les enjeux et surtout à en analyser les conséquences, sinon dans quelques films chinois patriotiques peu ou pas distribués à l’international dont Soleil noir : le massacre de Nanjing de Mou Tun-fei et Ne pleure pas Nanjing de Wu Ziniu, tous deux de 1995, City of Life and Death (2009) de Lu Chan ou Sacrifices of War (2011) de Zhang Yimou. Les démons à ma porte (2000) de Jiang Wen et John Rabe, le juste de Nankin (2009) de Florian Gallenberger ont évoqué quant à eux chacun à leur façon cet événement majeur occulté en son temps par la montée des fascismes en Europe. Le film d’Ao Shen raconte ces exactions d’un point de vue très particulier qui lui confère une puissance d’évocation hors du commun. Ses protagonistes ont trouvé refuge dans une officine photographique locale dont les occupants vont se trouver confrontés malgré eux à une responsabilité inattendue : celle de témoigner de ce massacre de masse aux yeux de la postérité. Le film n’est donc pas seulement le récit de ces événements méconnus, mais aussi une mise en abyme du pouvoir inestimable de l’image en tant que pièce à conviction aux yeux de la postérité, ce que comprendront parfaitement bien les Nazis en se gardant de laisser des traces visuelles de leurs crimes voire en effaçant méthodiquement les traces susceptibles de fournir des preuves à leurs ennemis.
Au-delà de son caractère romanesque, Le studio photo de Nankin propose un point de vue original sur les événements de décembre 1937 au fond assez peu connus en Europe qui n’entretenait que des relations encore distantes avec l’Extrême-Orient pour des raisons liées à la fois à l’éloignement et à des moyens de communication encore limités. Cette officine transformée en abri davantage qu’en poche de résistance devient l’épicentre d’un huis clos d’autant plus intéressant sur le plan dramaturgique que ses occupants y jouissent d’une protection précaire en échange de la promesse de servir les visées de envahisseurs nippons en développant et en tirant les photos qu’ils prennent de leurs faits d’armes et de leurs exactions. Quitte à offrir à la postérité des pièces à conviction accablantes lorsque les responsables de ce massacre passeront en jugement entre 1946 et 1948 dans le procès de Tokyo, l’équivalent asiatique de Nuremberg. Au-delà du point de vue singulier qu’adopte ce film chinois forcément partial mais documenté avec une rigueur exemplaire, il s’avère captivant par la réflexion qu’il propose incidemment sur le poids de l’image en tant que reflet du réel. Le scénario se révèle suffisamment fertile en morceaux de bravoure pour rivaliser sur les plans narratifs, techniques et artistiques avec les production anglosaxonnes équivalentes, en ouvrant au cinéma chinois de nouvelles perspectives, pour peu qu’il s’attaque à des sujets d’une portée universelle et se donne les moyens ad hoc. Ce film souvent brillant le démontre avec une indéniable maestria grâce à quelques séquences d’anthologie mémorables, mais souvent éprouvantes par leur cruauté.
Jean-Philippe Guerand




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