Sawt Hind Rajab Film tuniso-français de Kaouther Ben Hania (2025), avec Amer Hiehel, Clara Khoury, Motaz Malhees, Saja Kilani… 1h29. Sortie le 26 novembre 2025.
Certains films arrivent à point nommé. Tel est le cas de celui-ci. Les fées qui se sont penchées sur son berceau en disent d’ailleurs long sur la portée de ce geste de cinéma qui est avant tout un geste politique fort et nécessaire reçu en tant que tel à la Mostra de Venise où il a accumulé les trophées. Les cinéastes Alfonso Cuarón et Jonathan Glazer et les comédiens Brad Pitt, Joaquin Phoenix et Rooney Mara se pressent au générique en tant que producteurs délégués. Face au silence assourdissant imposé aux médias dans la Bande de Gaza, le cinéma ne pouvait réagir qu’avec ses propres armes. En l’occurrence ici la reconstitution d’une tragédie qui a marqué l’opinion publique lorsque le 29 janvier 2024, le central téléphonique du Croissant Rouge a reçu l’appel désespéré d’une fillette de 6 ans dont la voiture venait d’être prise sous les tirs croisés au cœur de la Bande de Gaza. Une situation banalisée par la violence quotidienne qui a connu une issue tragique et ému la communauté internationale impuissante. La réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania a décidé d’utiliser la voix de la petite Hind Rajab comme fil rouge sonore d’une reconstitution clinique de cet enchaînement tragique, du point de vue des bénévoles de ce centre d’appel qui cherchent à dépêcher des secours sur place dans l’embrouillamini absurde d’une situation désespérée.
L’issue du film est inéluctable. Et c’est malheureusement ce qui lui confère toute sa puissance tragique. Sa portée doit moins à une mise en scène dépourvue d’effets qu’à la situation elle-même, reflet de notre impuissance collective à arrêter un massacre aveugle dont les victimes expiatoires sont les femmes et les enfants d’abord. Ce film a le mérite d’interpeller nos consciences inertes en s’appuyant sur des enregistrements authentiques qui le rendent inattaquable sur le plan moral. Là où bon nombre de scénarios exhibent leur respect de la vérité comme un titre de gloire, La voix de Hind Rajab joue du hors-champ avec une rare efficacité dialectique et suggère sans montrer. Un sujet comme les affectionne la réalisatrice des Filles d’Olfa dont l’œuvre tout entière s’organise autour d’une quête de la représentation qui ambitionne de montrer les non-dits et de trouver des succédanés de nature à donner une existence tangible aux images manquantes, en l’occurrence ici la situation désespérée dans laquelle se trouve Hind Rajab, prisonnière d’une automobile dont tous les occupants ont été tués. L’occasion pour la cinéaste d’évoquer la force de l’absence en soulignant l’impuissance des secours confrontés à une tragédie particulièrement absurde qui les place dans une situation intenable où leur marge de manœuvre se trouve réduite à sa plus simple expression. Dès lors, le film formalise notre impuissance collective et agit sur notre mauvaise conscience. Au risque de nous prendre à témoin, mais aussi en otage…
Jean-Philippe Guerand




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