Film français de Pascal Elbé (2025), avec Benoît Poelvoorde, Audrey Lamy, Zabou Breitman, David Talbot, Hugo Becker, Pascal Elbé, Louis Douce Lagorce, Pierre Poiret, Camille Sagols, Romy Baratin Forest, Emmanuelle Lepoutre, Jeanne Rosa, Patrick Ligardes, Alexia Stefanovic, Emilie Gavois-Kahn, Philippe Uchan, Jochen Hägele… 1h40. Sortie le 12 novembre 2025.
Audrey Lamy et Benoît Poelvoorde
Peut-on rire de tout ? Certains rétorquent par la positive, mais pas avec n’importe qui, tiennent à souligner les autres. Les triomphes populaires de La vache et le prisonnier (1959) et de La grande vadrouille (1966) ont démontré moins d’une génération après la fin de la Seconde Guerre mondiale qu’aucun sujet n’était vraiment tabou et que la réconciliation prônée par le Général de Gaulle à la Libération avait contribué à ensevelir la mauvaise conscience des Français sous un rire salvateur sinon rassurant. Cet état d’esprit a commencé à changer dans les années 70 avec Le chagrin et la pitié, Lacombe Lucien et Le bon et les méchants où affleurait un état des lieux nettement moins consensuel. Pascal Elbé signe aujourd’hui avec La bonne étoile une comédie saupoudrée de poil à gratter dans laquelle un Français très moyen se fait passer pour Juif afin de pouvoir prendre la poudre d’escampette en profitant des filières clandestines d’exfiltration. Sujet ô combien délicat qui nécessitait par essence un tact et une délicatesse absolue afin d’éviter tout dérapage. La personnalité de l’acteur-réalisateur de Tête de turc (2010) plaidait en sa faveur pour traiter un tel sujet sans laisser la comédie aplanir et affadir un sujet qui fâche. Il choisit pour anti-héros un citoyen ordinaire que campe Benoît Poelvoorde en mode Bourvil ou Fernandel, son bon sens en bandoulière. Un individualiste bas de plafond qui n’hésite pas à usurper la confession judaïque à des fins personnelles. Une sorte de comble de la perversité faite homme que le scénario ne désigne pourtant jamais comme un monstre. Parce qu’il arbore en fait tous les stigmates de ces minables qui ont profité de l’effondrement à des fins personnelles. À ce détail près, et il est d’importance, que notre Français moyen qui en arbore les stigmates les moins glorieux n’a pour tout plan de carrière que de fuir à tout prix.
L’habileté de Pascal Elbé consiste à choisir pour protagoniste un personnage méprisable en tous points et à observer comment ces événements vont le faire changer à son insu. Sans accéder au statut de héros à part entière, Jean Chevalin dit Jacob se transcende malgré lui sous prétexte de sauver sa peau. Il appartient à ce pays profond qui n’a été ni résistant ni collabo et dont l’unique obsession consistait à trouver de quoi manger tous les jours sans se préoccuper des autres, entre tickets de rationnement et marché noir. Une sorte de victoire du chacun pour soi sur une solidarité nationale illusoire qui ne résiste pas aux écrits des sociologues. Entre les mains de Pascal Elbé, cette histoire de faux Juif qui s’introduit dans un réseau de résistance réussit à ne jamais déraper vers le glauque ou le sordide, son protagoniste plus ignorant qu’animé de mauvaises intentions finissant par recouvrer un semblant d’honneur. Le portrait de groupe qu’esquisse le réalisateur de cette période s’avère finalement plus intéressant que l’histoire abracadabrante qui lui sert de prétexte et n’est jamais à une invraisemblance près. Le paradoxe du film, qui se veut évidemment consensuel, consiste à n’accabler vraiment personne, sous prétexte de montrer une population bien décidée à survivre, même si c’est au détriment d’autrui. Le casting est à ce titre assez malin, mais sans doute même trop, chacun dans sa ligne comme dans une course olympique : Audrey Lamy est l’épouse gouailleuse, Zabou l’aristo combative, etc. Dommage toutefois que le film n’essaie à aucun moment de dépasser les conventions. On a parfois le sentiment qu’il a été massacré au montage et y a perdu toute sa force de conviction. Cette façon d’héroïser la France profonde est franchement dépassée et tant pis s’il n’y a que la vérité qui blesse. C’est parfois utile.
Jean-Philippe Guerand




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