Accéder au contenu principal

“Je n’avais que le néant” de Guillaume Ribot



Documentaire français de Guillaume Ribot (2025), avec Claude Lanzmann… 1h34. Sortie le 26 novembre 2025.



Claude Lanzmann



C’est à une véritable autopsie cinématographique que s’est livré Guillaume Ribot en se jetant la tête la première dans les deux cent vingt heures de rushes écartés du montage final de Shoah au proft de ses seuls interrogatoires. Une œuvre titanesque à laquelle Claude Lanzmann a consacré douze années de sa vie, sans même avoir la certitude de mener cette folle aventure à son terme. Sept ans après sa disparition, ce film en retrace le long cheminement à travers les images et les sons qui en témoignent, mais aussi ce que le cinéaste en raconte dans son autobiographie “Le lièvre de Patagonie” (Gallimard, 2009). Ce making-of par procuration posthume nous propose une plongée passionnante dans la tête d’un homme qui fut un grand journaliste avant de devenir un cinéaste intègre et s’est employé en questionnant les bourreaux de l’Holocauste à en reconstituer la mécanique implacable pour la postérité. Une œuvre de mémorialiste destinée à traverser les époques et à apporter le plus cinglant des démentis aux révisionnistes toujours prompts à s’engouffrer dans les moindres brèches de l’histoire pour imposer des vérités alternatives que les réseaux sociaux n’ont contribué qu’à amplifier. Guillaume Ribot retrace la genèse de ce travail de titan et montre tous les risques qu’il a pris pour mener à son terme ce jeu de la vérité avant que les derniers survivants ne viennent à disparaître à leur tour, les déportés comme les nazis qui avaient échappé au châtiment et que Lanzmann est parvenu à débusquer, puis à faire parler. Le film, on le connaît : il appartient désormais au patrimoine mondial de l’humanité. 



Claude Lanzmann



Au-delà du monument mémoriel dont il relate la lente gestation, Je n’avais que le néant reflète l’état d’esprit d’un homme qui s’est assigné une mission écrasante : laisser à l’humanité des témoignages accablants des crimes de masse que la folie humaine a pu perpétrer. Avec à la clé un pari risqué qui consistait à attendre des bourreaux qu’ils consentent à s’épancher sur leurs crimes, là où la conférence de Wannsee avait intégré dès janvier 1942 le principe d’en effacer toutes les traces aux yeux de la postérité. L’instinct de Claude Lanzmann l’a incité à parier sur la vanité et la fierté de ses interlocuteurs dénués de remords et même d’états d’âme pour les convaincre de répondre à ses questions les plus dérangeantes, quitte à endurer parfois lui-même des risques extrêmes. À l’instar de ce climax digne d’un thriller où l’entourage d’un ancien Nazi décèle la présence de la camionnette depuis laquelle les sons sont enregistrés. Les images utilisées par Guillaume Ribot composent l’un des plus incroyables making-of qui soient et montrent les risques insensés qu’a enduré le réalisateur pour mener à bien la mission qu’il s’était assignée. On mesure à travers la puissance qui se dégage de ces images à quel point Shoah demeure l’antidote le plus radical contre le révisionnisme et le négationnisme, tout en mesurant le prix exorbitant qu’a dû payer son auteur pour perpétuer cette mémoire essentielle et empêcher qu’elle ne sombre dans un oubli qui constituerait ni plus ni moins qu’un nouveau crime contre l’humanité à part entière.

Jean-Philippe Guerand






Claude Lanzmann

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva...

Berlinale Jour 2 - Mardi 2 mars 2021

Mr Bachmann and His Class (Herr Bachmann und seine Klasse) de Maria Speth (Compétition) Documentaire. 3h37 Dieter Bachmann est enseignant à l’école polyvalente Georg-Büchner de Stadtallendorf, dans le Nord de la province de Hesse. Au premier abord, il ressemble à un rocker sur le retour et mêle d’ailleurs à ses cours la pratique des instruments de musique qui l’entourent. Ses élèves sont pour l’essentiel des enfants de la classe moyenne en majorité issus de l’immigration. Une particularité qu’il prend constamment en compte pour les aider à s’intégrer dans cette Allemagne devenue une tour de Babel, sans perdre pour autant de vue leurs racines. La pédagogie exceptionnelle de ce professeur repose sur son absence totale de préjugés et sa foi en une jeunesse dont il apprécie et célèbre la diversité. Le documentaire fleuve que lui a consacré la réalisatrice allemande Maria Speth se déroule le temps d’une année scolaire au cours de laquelle le prof et ses élèves vont apprendre à se connaître...

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la viol...