Film américain de Scarlett Johansson (2025), avec June Squibb, Erin Kellyman, Chiwetel Ejiofor, Jessica Hecht, Greg Kaston, Will Price, Rita Zohar, Cole Tristan Murphy, Michael Everett Johnson, Marcha Kia, Luis Castro de Leon, Zach Fike Hodges, Elaine Bromka… 1h38. Sortie le 19 novembre 2025.
Rita Zohar et June Squibb
Il est toujours intéressant d’observer le passage derrière la caméra de celles et ceux qui ont l’habitude d’être devant. Scarlett Johansson a choisi pour personnage principal de son premier long métrage une nonagénaire installée en Floride avec sa meilleure amie que la mort de celle-ci conduit à repartir à New York où vivent sa fille et son petit-fils. Là, elle intègre une association culturelle juive et partage ses souvenirs au sein d’un groupe de parole où elle sympathise avec une apprentie-journaliste qui entend recueillir son témoignage. Mais les apparences sont parfois trompeuses et la fantasque Eleanor n’est pas exactement celle qu’elle prétend être pour ne plus être invisibilisée. Sujet ô combien délicat servi par une personnalité aussi digne qu’excentrique qu’interprète la plus improbable des inconnues, June Squibb, laquelle doit l’essentiel de sa notoriété aux deux rôles que lui a confié Alexander Payne dans Monsieur Schmidt (2002) et Nebraska (2013) pour lequel elle a été nommée à l’Oscar du meilleur second rôle féminin. Elle se révèle impeccable dans le rôle de cette forte tête qui refuse d’aller dans une résidence pour personnes âgées, mais s’accommode volontiers de quelques écarts avec la vérité, moins pour s’approprier une histoire qui n’est pas la sienne que par besoin de transmettre le vécu de cette amie rencontrée en 1953. Après tout, ses confessions sont authentiques. À travers ce sujet, Scarlett Johansson questionne la notion de vérité avec une rare subtilité à partir du premier scénario jamais écrit par Tory Kamen qui s’inspire de sa grand-mère. La comédienne choisit par ailleurs de ne pas apparaître à l’écran pour se concentrer intégralement sur la mise en scène, en accordant une place prépondérante à la direction d’acteurs.
June Squibb et Erin Kellyman
De prime abord expansive et fantasque (il faut la voir au supermarché avec son amie de toujours qui est son double inversé), Eleanor n’exprime le chagrin que lui a causé la disparition de sa complice qu’en perpétuant sa mémoire. Geste louable qui prend toutefois des proportions démesurées lorsqu’il s’agit de témoigner à sa place d’événements qu’elle l’a si souvent entendu relater qu’elle les a en quelque sorte intégrés à sa propre mémoire. Cette attitude jugée répréhensible sur la forme constitue en fait aussi une manifestation du devoir mémoire qui confère au film une importance particulière et dépasse largement son propos de départ en la personne de cette étudiante attirée par une vieille dame indigne qui va en quelque sorte trahir sa confiance, alors qu’elle-même lutte pour obtenir la reconnaissance de son père, présentateur de talk-show de renom, afin de cicatriser définitivement de la perte traumatisante de sa mère. Cet entrelacs psychologique fonctionne essentiellement grâce au casting et à l’interprétation, tout à la fois singuliers et habilement exploités, à l’instar de cette jeune femme au visage constellé de tâches de rousseur qu’incarne Erin Kellyman dans une composition d’autant plus remarquable que cette actrice britannique a tout de même… 38 ans ! Un choix qui témoigne tout à la fois de l’inspiration et de l’expérience de Scarlett Johansson qui n’est visiblement pas devenue réalisatrice par coquetterie ou plan de carrière, mais par besoin de se frotter à un nouveau moyen d’expression dans un cinéma américain où l’indépendance reste une vertu convoitée.
Jean-Philippe Guerand




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