Film français de Dominik Moll (2025), avec Léa Drucker, Guslagie Malanda, Mathilde Roehrich, Jonathan Turnbull, Mathilde Riu, Côme Peronnet, Solan Machado-Graner, Sandra Colombo, Théo Costa-Marini, Théo Navarro-Mussy, Florence Viala, Étienne Guillou-Kervern, Aleksandra Yermak, Laurent Bozzi, Stanislas Mehrar, Valentin Campagne, Antonia Buresi, Kévin Debonne, Yoann Blanc… 1h55. Sortie le 19 novembre 2025.
Léa Drucker et Jonathan Turnbull
La doctrine du maintien de l’ordre a démontré ses limites lors de la crise des Gilets Jaunes qui confrontait tous les samedis des hordes de manifestants à des forces de l’ordre dépassées par la fréquence des événements. Les tirs de LBD et les bavures se sont multipliées et ont provoqué l’intervention de la police des polices chargée de démêler le vrai du faux au sein d’une corporation déjà éprouvée. Un sujet ô combien délicat que Dominik Moll a choisi de traiter à travers le personnage d’une inspectrice de l’IGPN saisie par sa hiérarchie pour établir les responsabilités dans la mutilation d’un jeune homme par une grenade de désencerclement. Fidèle à la rigueur et à la retenue qui ont contribué aux polars atypiques que sont Harry, un ami qui vous veut du bien (2000) ou La nuit du 12 (2022), le réalisateur se concentre sur le travail de fourmi que constituent des investigations dans ce contexte particulier qui conduit des policiers à mettre en cause leurs presque semblables, sous prétexte de garantir l’éthique et la déontologie de leur corporation tout entière aux yeux des citoyens. Le personnage qu’incarne Léa Drucker se trouve ainsi malgré elle au cœur d’un conflit d’intérêts pour le moins cornélien. Non seulement elle est suspecte aux yeux des manifestants qui ne voient en elle qu’une policière comme les autres, en ignorant tout de ses fonctions véritables, mais elle est rejetée par une partie de ses collègues pour qui elle incarne une menace en s’intéressant à leurs faits et gestes. Il n’est donc pas question ici de manichéisme, mais plutôt d’une sorte de troisième pouvoir chargé de passer les événements au peigne fin et de veiller au respect des règles élémentaires de sécurité en toute impartialité. Et c’est évidemment là où le bât blesse…
Léa Drucker, au centre
En choisissant pour incarner cette fonctionnaire de police Léa Drucker, Dominik Moll a souhaité à la fois poursuivre sa collaboration avec cette comédienne amorcée dans Des nouvelles de la planète Mars (2015) et miser sur l’empathie naturelle qu’elle entretient avec ses personnages, à l’instar de l’infirmière de L’intérêt d’Adam de Laura Wandel tout récemment. Sa seule présence fait en quelque sorte gagner beaucoup de temps par les liens qu’elle établit immédiatement non seulement avec les autres personnages mais avec le public. C’est sur ce phénomène que mise ici le réalisateur qui décrit la difficulté de sa tâche, ces accusés fuyants, ces témoins qui se dérobent et ces preuves si délicates à réunir quand personne n’a véritablement intérêt à ce que la vérité soit établie de façon incontestable. La mise en scène s’appuie d’ailleurs sur des faisceaux d’indices nourris d’images en provenance de sources multiples : téléphones portables, extraits de reportages télévisés et même caméras embarquées par les policiers comme par les manifestants qui documentent tout en cas de bavure éventuelle. L’enquête devient ainsi à un moment donné une sorte d’analyse sémiologique qui frise la paranoïa aiguë. Un peu comme dans un match de football ou de rugby, lorsque l‘arbitre fait appel à la Var (Video Assistance Referee) afin de corroborer la réalité d’une faute ou d’un hors-jeu. Dès lors, Dominik Moll nourrit sa mise en scène de ce faisceau de preuves parfois contradictoires ou trompeuses pour mieux souligner la faillibilité du jugement humain. Dossier 137 constitue en cela une mise en perspective passionnante du cinéma qui s’inscrit dans la logique du travail que mène depuis un quart de siècle ce réalisateur pointilleux (et parfois ici pointilliste) avec son complice scénariste Gilles Marchand. Dans l’ombre d’un doute, mais sans manichéisme ni complaisance.
Jean-Philippe Guerand




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