Zwei Staatsanwälte Film franco-germano-hollando-lettono-roumano-lituanien de Sergei Loznitsa (2025), avec Aleksandr Kuznetsov, Aleksandr Filippenko, Anatoliy Belyy, Andris Keišs, Vytautas Kaniušonis, Sergey Podymin, Valentin Novopolskij, Ivgeny Terletsky, Orests Paško… 1h58. Sortie le 5 novembre 2025.
Aleksandr Kuznetsov
On vient de quitter Sergei Loznitsa sur un documentaire, L’invasion sorti il y a tout juste un mois, on le retrouve avec une fiction présentée en compétition à Cannes. L’évocation d’une année considérée comme l’apogée des purges staliniennes et de la période dite de la Grande Terreur : 1937. Deux ans seulement avant la Seconde Guerre mondiale, l’URSS se livre en toute impunité à une radicalisation extrême de son régime dans l’indifférence totale de l’Occident qui se préoccupe davantage des démons à sa porte : l’Allemagne nazie, l’Italie mussolinienne et l’Espagne franquiste où les démocraties européennes manifestent leur impuissance face à la dictature. Le réalisateur a puisé l’inspiration de son nouveau film dans une nouvelle écrite en 1969 mais publiée en 2009. Son auteur, Georgy Demidov, est un physicien expérimental qui a passé quatorze ans au Goulag. Un conte absurde dans lequel un procureur local débutant et idéaliste se rend auprès d’un détenu qui a demandé à le rencontrer et se trouve entraîné ainsi dans une spirale infernale qui voit le régime emprisonner petit à petit ceux-là mêmes qu’il avait chargé d’identifier les dissidents potentiels pour les empêcher de nuire. C’est un cercle infernal que décrit le cinéaste féru d’histoire qui utilise volontiers le passé pour le mettre en résonance avec le présent. Il adopte pour cela le point de vue d’un fonctionnaire bolchevique intègre qui rend compte de ce qu’il prend pour un dysfonctionnement isolé au procureur général de Moscou. Il met ainsi malgré lui en branle une machine à broyer implacable dont l’absurdité tragique renvoie à certains romans de Kafka où l’homme se trouve écrasé par un système qui le dépasse.
Aleksandr Kuznetsov
Deux procureurs décrypte avec une grande intelligence le fonctionnement diabolique de la machine totalitaire, en mettant en scène l’étau qui se resserre sur un fonctionnaire idéaliste qui pêche par excès de zèle. Un jeune homme convaincu de servir une cause juste qui va tomber dans un piège où il s’est jeté lui-même, sous peine de prendre la défense d’un citoyen ordinaire dont la requête lui est parvenue par miracle. Raccourci saisissant qui passe par l’image absurde d’un prisonnier cacochyme chargé de brûler les lettres de réclamation sans les acheminer à leurs destinataires, comme pour réduire au silence tous ceux qui se plaignent du régime dans un pays où la délation est devenue par ailleurs un sport national. Avec cette idée géniale qui consiste à faire jouer deux rôles diamétralement opposés à un seul et même interprète. Comme pour mieux insister sur la duplicité inhérente à l’homo sovieticus. Le cinéma de Sergei Loznitsa peut tout entier se résumer dans cette ambivalence qui le sous-tend. Dans l’affrontement qu’il orchestre en permanence entre le Bien et le Mal, c’est toujours ce dernier qui triomphe en y mettant les formes et quitte à masquer son véritable visage pour mieux piéger ses victimes. Ce film est ainsi une véritable plongée dans les tréfonds de la paranoïa la plus extrême, un univers où il n’y a plus ni amis ni complices et où toute tentative de fraternisation ne peut qu’exposer au pire. Il est par ailleurs évident que cette évocation des pires heures du stalinisme est aussi un miroir tendu à la Russie de 2025 en quête de son hégémonie passée et de son empire démembré. Preuve que les mêmes causes engendrent les mêmes effets.
Jean-Philippe Guerand




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