Film français d’Alice Douard (2025), avec Ella Rumpf, Monia Chokri, Noémie Lvovsky, Emy Juretzko, Julien Gaspar-Oliveri, Jeanne Herry, Aude Pépin, Philippe Petit, Anne Le Ny, Émilie Brisavoine, Hammou Graïa, Tom Harari, Eva Huault, Pauline Bayle, Félix Kysyl, Hamza Meziani, Édouard Sulpice, Mélodie Bonnin, Loane Seguillon, Marianne Dubut… 1h37. Sortie le 19 novembre 2025.
Monia Chokri
De prime abord, la tentation est grande de classer le premier long métrage d’Alice Douard parmi ses œuvres sociétales qui entendent dresser un état des lieux aussi précis que possible d’un monde en mutation permanente. Des sujets qui alimentaient naguère les débats de la fameuse émission de télévision “Les dossiers de l’écran”. Des preuves d’amour aborde en l’occurrence une situation rarement traitée : celle de ces couples homosexuels qui souhaitent procréer mais dont seule la mère porteuse ressent les stigmates dans son corps, sa partenaire se retrouvant dans le rôle ingrat dévolu traditionnellement au père, tout en demeurant une femme dans l’attente d’un heureux événement, mais en quelque sorte par procuration. Une situation paradoxale mais très réaliste que raconte le film à travers le couple formé par Ella Rumpf et Monia Chokri. L’une couve, l’autre pas, pour pasticher le titre d’un classique féministe d’Agnès Varda, tandis que l’épanouissement de la parturiente s’accomplit au détriment de son âme sœur qui s’étiole sous l’effet de cette nouvelle forme de baby blues empreinte de frustration. Tout l’enjeu consiste à s’intéresser précisément à celle qui hérite d’un rôle ingrat dévolu jusqu’ici aux pères : celui de témoin dépossédé de cette fonction inhérente à la femme qui consiste à porter un bébé et à le sentir se développer et bouger en soi. En questionnant cette nouvelle répartition des rôles qui caractérise certains couples féminins, ce film investit un univers mystérieux dont on n’a sans doute pas encore mesuré l’étendue des conséquences potentielles.
Monia Chokri et Ella Rumpf
Placé sous le signe de cette maxime de Jean Cocteau qui affirmait qu’« il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour », le film d’Alice Douard mise sur deux interprètes principales remarquables : Ella Rumpf, couronnée du César du meilleur espoir féminin pour Le théorème de Marguerite d’Anna Novion, et l’actrice et réalisatrice québécoise Monia Chokri. Ce long est l’œuvre d’une cinéaste qui avait abordé un sujet voisin dans L’attente, son court métrage césarisé en 2024, mais adopte cette fois un ton résolument plus politique. Au-delà des multiples questionnements que suscite ce film, elle le situe à dessein en 2013, histoire de traiter ses protagonistes comme les pionnières d’une cause que la loi Taubira a contribué à encadrer et surtout à protéger. Une situation dont la réalisatrice souhaite d’autant plus témoigner qu’elle l’a vécue intimement et qu’elle a suscité en elle des interrogations auxquelles le film essaie d’apporter des réponses cohérentes mais sans doute insatisfaisantes, faute d’un recul suffisant. Son scénario emprunte à dessein la voie de l’apaisement. Il débute par la promulgation de la loi sur le mariage pour tous et développe à partir de là un thème qui revient comme une vague : la notion de famille et ce qu’elle signifie dans une société qui ose balayer le fameux dogme “un papa, une maman”, en élargissant le spectre des possibles. Avec aussi un parti pris qui consiste à affirmer que ces questions ne se posent plus en tant que telles et deviennent accessoires, mais qu'elles supposent de manifester le désir de cet enfant qu'on ne porte pas pour le mériter ce qui entérinera leur acceptation et par extension une certaine normalisation. C’est tout l’objectif de ce film parfois douloureux, mais toujours généreux, dont l’unique moteur est l’amour, aussi abstrait puisse-t-il être.
Jean-Philippe Guerand




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