Un poeta Film colombo-germano-suédois de Simón Mesa Soto (2025), avec Ubeimar Rios, Rebeca Andrade, Guillermo Cardona, Allison Correa, Margarita Soto, Humberto Restrepo… 2h. Sortie le 29 octobre 2025.
Ubeimar Rios et Rebeca Andrade
Il y a quelque chose d’anachronique dans le fait de s’autoproclamer poète dans un monde sans pitié où peu de détails prêtent à rêver et à laisser son esprit vagabonder au fil de l’harmonie miraculeuse que créent parfois les mots quand ils sont disposés selon un certain ordonnancement. Le personnage principal qu’a choisi le cinéaste colombien Simón Mesa Soto a naguère brillé dans ce domaine en faisant naître des promesses par sa verve. Il n’a malheureusement jamais réussi à concrétiser ces espoirs et végète depuis dans une existence médiocre en enseignant son art à des élèves qui ne prêtent qu’une vague attention à ses propos et ne le méritent pas. Jusqu’au jour où il détecte chez une de ses élèves de milieu modeste un talent qu’il juge indispensable d’encourager pour qu’il s’épanouisse. Quitte à s’engager pour l’aider à se faire reconnaître, alors même que ses moyens d’intervention sont d’autant plutôt limités qu’il a lui-même échoué à concrétiser les espoirs que d’autres avaient cru bon de placer en lui. Desservi par sa mise négligée de clochard céleste et une vie personnelle qui a tourné au naufrage, il se voit entraîné dans une spirale qui le dépasse, mais ne sait pas vraiment comment se défendre contre ceux qui l’accablent, tant sa vie est déjà en miettes… Un poète est porté par un parfait inconnu qui n’est pas un acteur professionnel mais semble en permanence habité par son rôle : Ubeimar Rios, pourtant déjà couronné de plusieurs prix d’interprétation dans les festivals où a été présenté ce film. Un personnage marginal qui brûle d’une vie intérieure hors du commun, mais affiche son indifférence vis-à-vis des conventions en usage dans une société trop matérialiste pour se soucier des rêveurs.
Rebeca Andrade
Simón Mesa Soto a choisi pour anti-héros de son deuxième film un personnage qui semble venu d’une autre planète et sur lequel le monde qui l’entoure exerce peu de prises. Il vit à ce point dans sa bulle qu’on sent en permanence la tempête qui gronde sous son crâne. Il constitue donc une proie idéale pour ces adolescents enivrés par les réseaux sociaux qui n’écoutent que distraitement sa parole et nourrissent de toutes autres préoccupations. Dès lors, sa parole est inaudible, aussi profonds puissent être ses propos. Mais tel est le sort réservé aux poètes dans une société qui les considère volontiers comme d’incorrigibles romantiques et ne prête que rarement attention à eux, alors même que certains recueils d’auteurs contemporains réussissent pourtant à trouver des lecteurs en nombre. Comme une anomalie anachronique. La beauté de ce film réside dans le vent d’espoir qu’il fait souffler en s’appuyant sur un personnage déchu et accablé avec lequel ses proches ont pris leurs distances. Or, c’est quand il prend un nouveau coup de marteau sans être en mesure de se défendre ni même de réagir à la calomnie que cet homme à genoux qu’un enchaînement de circonstances va lui permettre de sauver son honneur soumis à si rude épreuve. Dur, dur d’oser être un poète dans un monde conditionné par l’appât du gain et la soif de réussir, si possible en écrasant les autres dans un combat implacable. Or, c’est parce que le personnage principal de cette histoire n’est pas un héros qu’on s’identifie à lui aussi spontanément.
Jean-Philippe Guerand




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