Film américano-franco-letton de Kristen Stewart (2025), avec Imogen Poots, Thora Birch, James Belushi, Charlie Carrick, Tom Sturridge, Susannah Flood, Esme Allen, Kim Gordon, Michael Epp, Earl Cave, Jeremy Ang Jones, Hal Weaver, Eleanor Hahn… 2h08. Sortie le 15 octobre 2025.
Imogen Poots
Il est toujours intéressant de découvrir quel cinéaste se dissimule derrière un acteur. Ce passage à l’acte est toujours chargé d’enseignements. Starifiée par la saga Twilight après des passages remarqués chez David Fincher et Sean Penn, Kristen Stewart a semblé depuis progresser à contre-courant de cette gloire fulgurante en affirmant des choix qui reflètent son exigence. Après une série de courts métrages remarqués, elle passe au long avec l’adaptation du livre autobiographique de l’ex-nageuse Lidia Yuknavitch, “La mécanique des fluides” (Denoël & D’ailleurs, 2011). Une confession douloureuse qui reflète de façon saisissante les préoccupations de l’actrice-réalisatrice dont on connaît l’engagement féministe et le combat contre les violences faites aux femmes. Elle se livre ici à un authentique numéro de haute voltige qui consiste à demeurer fidèle à l’esprit du livre qu’elle adapte et à la douleur exprimée par son auteure, tout en élargissant la focale pour s’approprier son esprit qu’elle partage totalement. Un projet audacieux dans le contexte traditionnel du cinéma américain, même lorsque c’est une star qui est aux commandes, dans la mesure où il ne cadre pas non plus vraiment avec l’esprit d’une industrie indépendante peu prompte à financer des sujets de société dénués d’un sérieux potentiel commercial. The Chronology of Water est dont l’aboutissement d’un combat qui reflète la détermination de Kristen Stewart contrainte d’aller tourner en Lettonie pour pouvoir le mener à bien avec le soutien déterminant du producteur français Charles Gillibert qui l’a déjà accompagnée au fil de plusieurs aventures cinématographiques.
Un projet aussi intime se devait d’être porté par une interprète de choix. C’est la Britannique Imogen Poots qui s’empare de ce rôle avec une incroyable délicatesse, ses silences s’avérant souvent plus éloquents que des dialogues toujours au second degré. Le film est non seulement le reflet de la détermination de sa réalisatrice, qui a notamment décidé de le tourner en 16 mm pour accentuer son intimité et cultiver une certaine proximité avec la substance mémorielle des Home Movies, mais aussi de l’écriture fragmentée de Lidia Yuknavitch qui a laissé les mots cavaler au rythme de ses souvenirs dans un travail d’orfèvre qui lui a valu une consécration littéraire immédiate pour le ton unique avec lequel elle a relaté ce trauma de jeunesse. Le film est de ceux qui nous prennent à leur piège en distillant un malaise lancinant. Nul besoin d’être une femme pour ressentir cette sensation. Kristen Stewart ne cherche jamais à plaire. Elle se contente d’observer ses personnages comme s’il s’agissait de poissons emprisonnés dans un bocal aux parois opaques dont la seule échappatoire possible consiste à se retrouver prisonniers des algues en plastique qui servent de décoration dérisoire. On sort de cette expérience à la fois secoué et perturbé, comme d’un mauvais rêve. Telle était l’intention de la romancière, comme celle de la cinéaste : nous montrer que le pire danger est parfois aussi le plus proche et que certains hommes restent les plus redoutables des prédateurs dans une impunité à peu près absolue, la loi du silence restant leur protection la plus efficace dans des familles en proie malgré elle à la domination masculine depuis des siècles. L’une des réussites du film consiste précisément à insister sur la fascination que peut susciter le père abusif.
Jean-Philippe Guerand
Commentaires
Enregistrer un commentaire