Mini-série documentaire américaine de Rebecca Miller (2025), avec Martin Scorsese, Robert de Niro, Leonardo di Caprio, Steven Spielberg, Brian de Palma, Jodie Foster, Thelma Schoonmaker, Jay Cocks, Leonard Schrader, Irwin Winkler, Daniel Day Lewis, Spike Lee, Irwin Winkler… 4h45. Mise en ligne sur Apple TV le 17 octobre 2025.
Martin Scorsese
Rebecca Miller n’est pas vraiment une inconnue. Auteur de quelques films délicats qui témoignent de son indépendance artistique, elle est à la fois la fille du dramaturge Arthur Miller (l’auteur des Misfits) et l’épouse du comédien Daniel Day Lewis. Position stratégique qui lui a évidemment donné quelques facilités pour dresser un portrait en cinq chapitres d’un des plus grands cinéastes de son temps, Martin Scorsese, lequel a dirigé son mari à deux reprises et accepte ce jeu de la vérité. Il est né au cœur de la communauté italo-américaine des années 1930 de parents débarqués du Vieux Continent à l’orée du XXe siècle qui se sont rencontrés dans la rue où ils vivaient, à quelques numéros l’un de l’autre. Comme Woody Allen, c’est en fréquentant les salles obscures qu’il s’est imprégné de la magie du cinéma et a décidé d’y consacrer sa vie. Comme Francis Ford Coppola, il a profité du flair du producteur Roger Corman pour se familiariser avec les plateaux et a tourné sous son égide Bertha Boxcar, une chronique de la Grande Dépression dont l’absence de moyens ne se fait jamais sentir à l’écran. D’emblée, Scorsese verrouille tout pour donner l’impression d’être plus riche qu’il ne l’est. Une méthode redoutablement efficace qui a l’insigne avantage d’éviter de sacrifier l’être au paraître. Film après film, le cinéaste évoque son incroyable carrière et démontre la diversité de ses choix en tordant le cou à sa réputation de chantre de la Mafia par la multiplicité des genres qu’il a abordés, y compris la comédie musicale avec New York New York destiné à l’origine par le producteur Irwin Winkler à Gene Kelly. Mr. Scorsese souligne en outre la solidarité immédiate des jeunes chiens fous du Nouvel Hollywood, à travers les témoignages de Brian de Palma, Steven Spielberg et George Lucas, mais aussi les liens qui se créent entre eux et une nouvelle génération d’acteurs dont Robert de Niro constitue l’archétype suprême.
Le travail accompli par Rebecca Miller s’avère d’autant plus passionnant qu’il creuse les zones d’ombre du cinéaste dont la famille a enduré un véritable déclassement social qui l’a contraint à quitter le Queens pour Little Italy. Elle souligne en outre comment le gamin asthmatique malmené par ses déboires sentimentaux est tombé dans la drogue avant de renaître de ses cendres, la foi chevillée au corps, malgré le calvaire que lui a fait endurer La dernière tentation du Christ de la part des intégristes et ces œuvres radicales et exigeantes que constituent Kundun et Silence. Avec aussi une fascination jamais démentie pour la musique de son époque qui l’a conduit à effectuer ses premières armes sur Woodstock, à filmer l’ultime concert de The Band dans The Last Waltz, puis à consacrer des documentaires habités à Bob Dylan, les Beatles et même une mini-série au blues, mais aussi à tourner des clips pour Michael Jackson. Scorsese a en outre la cinéphilie altruiste, comme l’atteste l’entreprise de sauvegarde tous azimuts menée par sa Cinema Foundation, mais aussi l’hommage qu’il a rendu à Georges Méliès dans Hugo Cabret. Scorsese n’a jamais été avare de sa parole. Rebecca Miller réussit toutefois à l’entraîner toujours plus loin, qu’elle le confronte à ses amis d’enfance, à ses filles, interroge certaines de ses ex où le montre veillant avec une tendresse bouleversante sur son épouse atteinte d’une maladie neuro-dégénérative. On mesure là la délicatesse mise en œuvre par Rebecca Miller pour accéder à une telle intimité. La stature du commandeur ne se trouve pour autant jamais affectée par ce jardin secret, tant il possède une conscience aiguë de ses erreurs et une capacité peu commune à en tirer des leçons, sans jamais jouer pour autant les donneurs de leçons ou les vieux sages désabusés. On sent à travers ses propos souvent enthousiastes et toujours encourageants qu’il filmera jusqu’à son dernier souffle et que même s’il accepte de se retourner sur son œuvre déjà au rang des classiques, l’avenir compte autant pour lui que le passé. Tous les apprentis-cinéastes se doivent d’écouter sa parole, reflet d’une passion jamais assouvie empreinte d’une volonté de transmettre à nulle autre pareille dont atteste cette leçon de cinéma magistrale.
Jean-Philippe Guerand




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