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“Marcel et Monsieur Pagnol” de Sylvain Chomet



Film d’animation franco-belgo-luxembourgeois de Sylvain Chomet (2025), avec (voix) Laurent Lafitte, Géraldine Pailhas, Thierry Garcia, Elsa Pérusin, Olivia Gotanegre, Noa Staes, Martin Meersman, Lohen Van Houtte, Véronique Philipponnat, Anaïs Petit, Vincent Fernandel, Shane Attwooll… 1h30. Sortie le 15 octobre 2025.





Sylvain Chomet occupe une place très à part dans le paysage du cinéma d’animation. Un peu comme s’il s’était trompé d’époque et souhaitait exalter une époque révolue. Les triplettes de Belleville (2003) a révélé en lui un incorrigible nostalgique capable d’établir une correspondance entre une France rêvée et un graphisme rassurant. C’est en toute logique que lui a été confiée la réalisation de L’illusionniste (2010), un projet inabouti de Jacques Tati qui prolongeait cette impression, sans pour autant succomber au fameux syndrome du “C’était mieux avant” qui menaçait de devenir à plus ou moins long terme sa marque de fabrique. C’est en toute logique qu’il s’est attaqué ensuite à un biopic à haut risque. Marcel et Monsieur Pagnol relate la vie aujourd’hui oubliée d’un écrivain-cinéaste que son œuvre a fini par éclipser, alors même que son existence a été romanesque en diable, comme l’attestent ses fameux volumes de mémoires qu’on étudie dans les écoles et qui constitué le premier contact de Chomet avec Pagnol. Restait pour le réalisateur à résoudre une somme impressionnante de problèmes. Évoquer la personnalité de l’auteur de La femme du boulanger, qui avait fait dire à Orson Welles que Raimu était le plus grand acteur du monde, c’est aussi convoquer des figures familières de notre imaginaire, de Fernandel à Louis Jouvet, avec tout ce qu’implique un tel processus créatif, à commencer par les attitudes et les voix que le cinéma traditionnel à immortalisés dans d’innombrables classiques. Évoquer Pagnol, c’est se frotter à la verve d’une langue superbe, mais aussi à une œuvre de cinéaste qui fait fi des époques.





Marcel et Monsieur Pagnol réussit la prouesse de reconstituer la Provence de Pagnol, en restant fidèle à l’esprit et à la lettre de ce créateur qui connut tous les succès, là où le malheur se révèle souvent plus fertile que la réussite sur le plan dramaturgique. Sylvain Chomet se frotte là pour la première fois au numérique, mais demeure fidèle à son goût pour la nostalgie. Soucieux de coller à la vérité, il intègre dans certaines séquences des images d’archive et même des extraits de films. Comme pour mieux souligner que cette histoire s’inscrit dans un contexte réel et montrer qu’il n’est pas dupe de la magie du cinéma. Nul besoin d’être un connaisseur de Pagnol pour apprécier le traitement de choix que lui a appliqué Chomet. Sur le plan vocal, notamment, il a pris tous les risques, qu’il s’agisse de confier à Laurent Lafitte le rôle de Marcel Pagnol à tous les stades de sa vie ou de demander à l’humoriste Thierry Garcia de prêter sa voix à la fois à Raimu et Fernandel. Des paris gagnants qui témoignent du perfectionnisme d’un des rares réalisateurs d’animation passé par la bande dessinée à s’être frotté aussi au cinéma en prises de vues réelles avec Attila Marcel (2013), en réussissant à rester fidèle à son sens de la poésie et son goût pour les grands sentiments. Son nouveau film est une merveille absolue qui fait honneur au cinéma français en rendant le plus vibrant des hommages à travers un pionnier du parlant dont la modernité continue à émerveiller par sa fraîcheur et l’universalité de ses thèmes de prédilection. Marcel et Monsieur Pagnol s’impose comme un classique instantané et une pure merveille.

Jean-Philippe Guerand



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