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“Les cavaliers des terres sauvages” de Michael Dweck et Gregory Kershaw



Gaucho Gaucho Documentaire américano-argentin de Michael Dweck et Gregory Kershaw (2024), avec Guada Gonza, Tati Gonza, Jony Avalos, Solano Avalos, Mario Choque… 1h24. Sortie le 22 octobre 2025.





Un homme couché sur un cheval se réveille et part avec sa monture et son chien… Ainsi débute le film le plus dépaysant qui soit. Une élégie en noir et blanc d’une beauté à couper le souffle qu’on croirait échappée du passé, tant les traditions qui s’y perpétuent semblent immuables. Le monde dans lequel on voyage pendant quatre-vingt minutes évoque certains de ces films du temps du muet qui aimaient jouer avec la mythologie du cow-boy argentin et le pittoresque qui l’accompagnait. Surgit la figure emblématique de Douglas Fairbanks dans Le gaucho et son folklore. Les cavaliers des terres sauvages est toutefois un documentaire qui célèbre cette figure romantique dans la pampa, en soulignant comment elle conditionne les rapports humains et traverse les époques en faisant fi de l’évolution des mœurs. C’est le soin apporté à l’esthétique du film qui lui confère sa puissance d’évocation hors du commun. On a parfois l’impression que ces gens cramponnés à leur passé glorieux évoluent dans un western et aiment à soigner les apparences pour perpétuer leur splendeur passée aux yeux du monde. Le film de Michael Dweck et Gregory Kershaw se situe moins dans la nostalgie admirative que dans la transmission d’un héritage précieux. Ce documentaire brille en outre par son sens de la mise en scène qui n’a rien à envier à certaines fresques épiques par son utilisation de l’espace. Chaque plan est un émerveillement qui s’inscrit dans une volonté de célébration par sa composition comme par sa durée et surtout sa façon d’inscrire l’humain dans le cadre à tous les sens du terme. Deux anciens évoquent le passé, un père transmets à son fils l’art de pique-niquer sous un arbre et le plaisir de la chasse, mais l’accompagne aussi pour acheter ses fournitures scolaires. Ainsi s’écoule la vie de ces gauchos attachés à leur héritage et au plaisir de la transmission dans un monde qui va trop vite et dont ils semblent avoir fait sécession.




Guada Gonza

Des hommes se recueillent sur les sépultures de ceux qui les ont précédés dans un rituel empreint de superstition… Chez ces gens-là, le labourage s’effectue avec des machines archaïques et le maïs se ramasse à la main. Une fille s’entraîne au rodéo, à cheval sur un tonneau actionné par quatre hommes, avant de se lancer pour sa première compétition, malgré les mises en garde de ses aînés. La caméra évite de montrer sa chute, mais la filme claudiquant avec des béquilles. Parce que ces gens-là assument leur orgueil et reconnaissent leurs erreurs, mais ne se gargarisent jamais de mots, comme le note un vétéran qui a tout vécu et en tire une certaine sagesse, mais reconnaît ses limites lorsque son corps commence à le trahir en demandant conseil à un homme plus jeune, puis en allant à confesse. Ces saynètes esquissent le portrait de groupe d’une communauté qui tient à perpétuer ses usages tout en respectant ses croyances ancestrales. À l’instar de ce plan sublime où un homme et un enfant armés d’une hache et d’une machette abattent un arbre mort, chacun d’un côté du tronc. La mise en scène enchaîne les cadrages frontaux dans un souci d’harmonie fascinant. Il est aussi question dans ce film des rapports entre les hommes et les animaux et des conflits qui viennent à opposer certaines espèces. À l’image de l’évocation de ces veaux martyrisés par des condors sadiques ou le récit en ombres chinoises de l’attaque d’un troupeau de poulains par un puma persévérant. Il émane de ces images souvent sublimes une communion avec la nature qui évoque certains westerns de John Ford, à l’instar de ce plan d’un homme épluchant des légumes devant une fenêtre donnant sur un paysage qui rappelle à dessein une image célèbre de La prisonnière du désert. Une certaine philosophie de la vie en prime.

Jean-Philippe Guerand




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