Film franco-allemand de Hafsia Herzi (2025), avec Nadia Melitti, Park Ji-Min, Amina Ben Mohamed, Melissa Guers, Rita Benmannana, Razzak Ridha, Louis Memmi, Waniss Chaouki, Anouar Kardellas, Mouna Soualem, Nemo Schiffman, Vincent Pasdermadjian, Sophie Garagnon, Madi Dembele, Aloïse Sauvage, Olivia Courbis… 1h46. Sortie le 22 octobre 2025.
Nadia Melitti et Park Ji-Min
Comédienne prodigieuse révélée par le sulfureux Abdellatif Kechiche, Hafsia Herzi s’est clairement détachée de son mentor en tant que réalisatrice, avec Tu mérites un amour (2019), puis Bonne mère (2021). Elle poursuit aujourd’hui sa route sur le registre de la chronique intimiste en portant à l’écran un récit autobiographique de Fatima Daas. La petite dernière confronte une discrète banlieusarde d’origine maghrébine à des désirs incompatibles avec la tradition musulmane. La particularité du film est d’éviter toute confrontation ouverte au profit du dilemme intérieur qui ronge cette amoureuse mal à l’aise avec son corps comme avec sa libido dont il est hors de question qu’elle fasse part à quiconque de son entourage, sous peine d’être jugée voire de soumettre ses états d’âme au regard des autres. Au point qu’elle ne maîtrise aucun des codes en vigueur parmi la communauté homosexuelle et se comporte avec une certaine maladresse face à des partenaires rompues à ces pratiques étrangères à son milieu qui vont l’initier tout en l’apprivoisant et en l’aidant à surmonter ses blocages, au moment même où elle devient étudiante en philosophie. Un rôle d’une infinie complexité qu’Hafsia Herzi a choisi de confier à une inconnue abordée dans la rue. Une réussite qui a valu à Nadia Melliti un prix d’interprétation féminine à Cannes pour ses débuts à l’écran dans ce personnage aux réactions parfois déroutantes parce qu’encore en devenir. Comme son apparition dans La graine et le mulet avait gratifié Hafsia Herzi du César du meilleur espoir féminin. Il y a des signes qui ne trompent pas…
Nadia Melitti
La petite dernière excelle à la fois par la personnalité de son personnage principal, plus complexe qu’il ne pourrait y paraître de prime abord, une jeune femme timide et effacée qui accomplit un effort considérable sur sa nature profonde pour assumer ses désirs, mais ne maîtrise aucun des codes d’un monde qui lui est encore étranger. Son apprentissage la contraint à produire un effort considérable sur elle-même pour s’introduire dans un univers qui lui est étranger. Ses premières approches témoignent d’ailleurs de son manque d’assurance et peut-être plus encore de ses ultimes doutes quant à ses véritables penchants encore inassouvis. Hafsia Herzi reproduit fidèlement les hésitations et les maladresses exprimées à l’origine par Fatima Daas que rien dans son milieu ni même dans son cercle de relations ne l’a préparée à exprimer. Dès lors, elle doit accomplir un itinéraire balisé qui passe par des clubs et des lieux de rendez-vous où les homosexuels recourent à des codes d’approche et de drague qu’elle va peu à peu apprivoiser avant d’assumer ses désirs et de connaître les affres de tous les amoureux, entre coups de cœur, ruptures et désillusions. Un processus que la mise en scène décrit avec une infinie délicatesse, en nous plaçant du point de vue de cette jeune femme, sans recourir à la voix off qui se serait avérée redondante ni s’appesantir sur le véritable non-dit de cette histoire : la réaction de l’entourage à des pratiques catégorisées immorales selon la tradition. C’est précisément l’usage des ellipses qui confère au film sa puissance, autour d’un personnage en état de doute permanent fragilisé par sa solitude et sa normalité qui a quelque mal à se laisser submerger par ses sentiments et ses sensations donc à lâcher prise. Un cheminement poignant par son refus de l’héroïsation, mais aussi de la banalisation, qui mettra sans doute du baume au cœur à celles et ceux qui doutent d’eux-mêmes et plus encore de leur droit à cette différence pas encore intégré dans tous les milieux.
Jean-Philippe Guerand




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