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“Imago” de Déni Oumar Pitsaev



Documentaire franco-belge de Déni Oumar Pitsaev (2025), avec Déni Oumar Pitsaev, Daoud Margoshvili… 1h48. Sortie le 22 octobre 2025.



Déni Oumar Pitsaev et Daoud Margoshvili



Le documentaire sert à tout, à condition de savoir en utiliser toutes les ressources et d’en maîtriser les codes, c’est-à-dire au besoin d’en accepter les imprévus. Le projet Imago est indissociable de la personnalité de son réalisateur, Déni Oumar Pitsaev, réfugié tchétchène installé en Belgique qui hérite un jour d’un lopin de terre dans une vallée du Pankissi, en Géorgie, une enclave linguistique et religieuse où un cousin judoka médaillé de bronze aux Jeux Olympiques et roublard entreprend de le convaincre de construire la maison qui lui permettra de fonder un foyer, quitte à lui inventer des souvenirs d’enfance dont il ne possède lui-même pas la moindre trace tangible en raison de son déracinement en plusieurs étapes. Il décide donc de se rendre sur place pour prendre possession de cette propriété et décide de prendre une caméra pour tenir le journal filmé de ce retour au bercail ponctué de coups de théâtre. Un pèlerinage mémoriel qui va s’avérer riche en imprévus, dans la mesure où ce voyage est aussi pour cet exilé l’occasion de retrouver son père qui vient quant à lui de Russie afin de l’aider à construire une maison sur pilotis tout en bois et en verre, comme on en voit… en Norvège. Une bâtisse littéralement hors sol dont la singularité suscite des réactions partagées de la part des autochtones. Avec en perspective le projet de fonder une famille qui ne figure pas du tout au programme de notre héros malgré lui. Et aussi en toile de fond l’invasion de l’Ukraine par la Russie qui provoque un exode massif de tous ceux qui refusent de prendre les armes.





Imago est un projet qui s’est nourri de son tournage en équipe réduite prévu pendant un été auquel s’en est ajouté un autre, puis un automne en guise de codicille. Malgré un scénario très écrit dans le but d’obtenir des subventions, le réalisateur a dû manifester une grande souplesse due à la réticence des autochtones à l’égard des étrangers. Il a ainsi filmé quelques séquences sur la longueur, à l’instar de cette scène d’anthologique qui rassemble des villageoises autour d’un repas où les langues se délient et certaines vérités fusent. Le point d’orgue du film relève quant à lui de l’ordre de l’intime, puisqu’il réunit le fils avec son père pour une explication douloureuse qui s’apparente à une variante du jeu de la vérité, cet homme venu avec sa nouvelle épouse et ses deux derniers fils étant en fait un parfait étranger pour Déni, dans la mesure où ses parents ont divorcé quand il était encore en bas âge et où il a grandi à l’autre bout de l’Europe avec sa mère, contrairement à ce que prévoit la tradition tchétchène. Une confrontation qui en dit long au passage sur le poids respectif de l’inné et de l’acquis, d’autant plus que le réalisateur a demandé à être filmé de dos ou de trois-quarts pour éviter au spectateur de devenir voyeur malgré lui, mais aussi de ne pas placer son père dans une situation inconfortable en abusant de son pouvoir de réalisateur. Malgré son sujet qui touche au comble de l’intime, Imago distille une incroyable douceur voire parfois même une forme d’amour qui évoque le climat pince-sans-rire de certains films géorgiens dont ceux d’Otar Iosseliani. Comme si ses origines avaient déteint sur la nature de ce cinéaste prometteur dont le film a obtenu l’Œil d'or du meilleur documentaire à Cannes ainsi que le prix French Touch de la Semaine de la critique pour la singularité de son regard.

Jean-Philippe Guerand





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