Film français d’Arnaud Desplechin (2025), avec François Civil, Nadia Tereszkiewicz, Charlotte Rampling, Hippolyte Girardot, Alba Gaia Bellugi, Anne Kessler, Jeremy Lewin, Marianne Pommier, Valentin Picard… 1h55. Sortie le 15 octobre 2025.
François Civil
La trajectoire cinématographique d’Arnaud Desplechin est l’une des plus rectilignes qui soient. Chacun de ses films résonne plus ou moins en écho à ceux qui l’ont précédé, en s’accrochant à des points de repères qui sont autant de petits cailloux blancs. Longtemps, il a fait appel à une famille de comédiens dont la présence accusait ce phénomène. Il semble avoir clos un chapitre avec son adaptation de Tromperie (2021) de Philip Roth. Deux pianos s’inscrit aujourd’hui dans la continuité logique de son film de fiction précédent, Frère et sœur, qui s’attachait à une réconciliation impossible. Dans un cas comme dans l’autre, le scénario s’appuie sur la réapparition d’un personnage et la résolution douloureuse d’un malentendu. En l’occurrence, cette fois, le retour à Lyon d’un virtuose du piano que sa rencontre avec un enfant va confronter à ses responsabilités. Un homme entre deux femmes : celle qui fut son enseignante et demeure à ses yeux une figure tutélaire incontestable (un rôle en or où Charlotte Rampling impose son autorité naturelle) et celle qu’il a aimée naguère (Nadia Tereszkiewicz) dont le fils le questionne par sa ressemblance. Desplechin a longtemps été l’auteur d’œuvres impressionnantes souvent cérébrales dont les personnages semblaient échappés d’un roman russe par leurs rapports complexes et leurs caractères extrêmes. Deux pianos accentue cette impression en assumant un lyrisme qui donne l’impression que Desplechin a enfin décidé de fendre l’armure et de laisser libre cours aux grands sentiments. À l’instar de cette scène d’évanouissement qui rend un hommage appuyé à une sorte de modèle en la matière : La femme d’à côté de François Truffaut, l’un de ses cinéastes de référence depuis toujours.
Nadia Tereszkiewicz et François Civil
Deux pianos est moins un film sur la musique qu’un mélodrame fantastique (c’est le réalisateur qui le définit ainsi) scandé par un tempo extrêmement précis qui exploite une facette peu connue de son interprète principal, François Civil, connu surtout jusqu’ici pour des œuvres commerciales à vocation populaire. Cette incursion dans le cinéma d’auteur pur et dur passe pour lui par un rôle qui lui est d’autant plus familier que le fringant d’Artagnan des Trois mousquetaires a été lui-même chanteur, guitariste et compositeur au sein du groupe électro-folk, alternatif-rock Collective Kingdom. Des compétences qu’exploite à merveille Desplechin, en mettant en lumière un potentiel dramatique que le comédien a rarement eu l’occasion d’explorer, sinon récemment dans Pas de vagues de Teddy Lussi-Modeste. Il acquiert ainsi à travers cette composition subtile et intense une dimension inédite qui lui ouvre de nouvelles perspectives. Devenu un héros romantique grâce à ses rôles chez Cédric Klapisch et le succès de films tels que BAC Nord et L’amour ouf, il a ici l’occasion de jouer sur une large gamme. Desplechin excelle à pousser ses interprètes dans leurs retranchements, quitte à les mettre parfois en danger sur la corde raide des sentiments. Il signe avec Deux pianos un film polyphonique comme il les affectionne, en donnant une véritable chair aux personnages les plus épisodiques et en traitant chacun de ses protagonistes avec la même attention. Il assume en outre depuis Frère et sœur son goût prononcé pour le mélodrame dont il maîtrise de mieux en mieux les composantes les plus lyriques.
Jean-Philippe Guerand
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