Accéder au contenu principal

“Un simple accident” de Jafar Panahi



Yek tasadef sadeh Film franco-luxembourgo-iranien de Jafar Panahi (2025), avec Vahid Mobasseri, Maryam Afshari, Ebrahim Azizi, Hadis Pakbaten, Majid Panahi, Delnaz Najafi, Mohamad Ali Elyasmehr, Georges Hashemzadeh, Afssaneh Najmabadi… 1h42. Sortie le 1er octobre 2025.



Vahid Mobasseri



Victime d’un nid de poule, un automobiliste s’arrête dans un garage pour faire réviser son véhicule. Là, un homme croit reconnaître le bruit caractéristique que faisait la prothèse du tortionnaire masqué qui l’a torturé lors de son séjour à la prison d’Evin. Soucieux d’en avoir le cœur net, il réunit d’autres victimes afin de vérifier son intime conviction. De ce sujet qui aurait pu être à quelques détails près celui d’une tragédie antique, le réalisateur iranien Jafar Panahi tire une réflexion abyssale autour de la notion de vérité à géométrie variable qui revêt évidemment une toute autre dimension sous un régime des Mollahs qui a érigé la suspicion à un stade de paranoïa aiguë. Le film a valu à son auteur la Palme d’or à Cannes, la seconde décernée à un cinéaste iranien après Abbas Kiarostami pour Le goût de la cerise en 1998 et auprès duquel il a lui-même débuté. L’occasion pour le metteur en scène d’accéder au cercle très fermé de ceux qui ont décroché la récompense suprême à Venise (Le cercle, 2000), Berlin (Taxi Téhéran, 2015), Locarno (Le miroir, 1997) et désormais Cannes. Une consécration espérée et méritée, même si Un simple accident n’est pas son plus grand chef d’œuvre. Comme son compatriote Mohammad Rasoulof dont Les graines du figuier sauvage avait obtenu un prix spécial du jury créé de toutes pièces l’an dernier, Jafar Panahi est couronné en fait pour l’ensemble de son œuvre indissociable d’une vie passée à résister aux pressions de la République islamique qui lui a tout infligé, y compris une interdiction de tourner et sept mois de prison conclus par une grève de la faim. C’est dire la détermination à toute épreuve de ces deux résistants de l’intérieur aujourd’hui contraints à l’exil en Europe.





Sélectionné pour représenter la France dans la course aux Oscars, Un simple accident souligne les failles du témoignage humain et les dégâts consécutifs qu’il peut parfois engendrer. Le scénario se garde bien de prendre le spectateur en otage et montre à quel point la vérité ressemble parfois à un oignon dont chaque couche en recèle une autre. Jafar Panahi excelle dans le tableau de mœurs et prend le contre-pied du film à thèse en laissant planer en permanence un doute sur la réalité des choses et le caractère aléatoire de l’intime conviction à partir d’un postulat qui aurait pu aboutir dans le cinéma occidental à une réflexion manichéenne autour de la notion de vengeance. Ce n’est pas lui faire insulte que de dire que ce film n’est pas son chef d’œuvre et qu’on est en droit de lui préférer le minimalisme absolu de Taxi Téhéran circonscrit dans l’espace confiné d’une voiture ou de son opus précédent, Aucun ours, dans lequel il avait poussé à l’extrême les stratagèmes de contournement de la censure iranienne, dans le but de contrecarrer l’interdiction de tourner à laquelle il avait été condamné en même temps que son compatriote Mohammad Rasoulof. C’est peut-être parce qu’il revient dans Un simple accident à un dispositif plus classique et à une dramaturgie éprouvée qu’il perd malgré lui ce sentiment d’urgence qui l’a contraint par le passé à chercher sans relâche de nouvelles parades de nature à préserver sa liberté d’expression, quitte à se faire financer de l’étranger et à conquérir le public occidental en transitant par les festivals internationaux, tandis que ses films étaient vus clandestinement par les Iraniens grâce aux sites de streaming pirates et aux réseaux sociaux. En espérant que l’exil n’aille pas amoindrir sa détermination exemplaire en lui donnant les moyens de ses ambitions.

Jean-Philippe Guerand





Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva...

Berlinale Jour 2 - Mardi 2 mars 2021

Mr Bachmann and His Class (Herr Bachmann und seine Klasse) de Maria Speth (Compétition) Documentaire. 3h37 Dieter Bachmann est enseignant à l’école polyvalente Georg-Büchner de Stadtallendorf, dans le Nord de la province de Hesse. Au premier abord, il ressemble à un rocker sur le retour et mêle d’ailleurs à ses cours la pratique des instruments de musique qui l’entourent. Ses élèves sont pour l’essentiel des enfants de la classe moyenne en majorité issus de l’immigration. Une particularité qu’il prend constamment en compte pour les aider à s’intégrer dans cette Allemagne devenue une tour de Babel, sans perdre pour autant de vue leurs racines. La pédagogie exceptionnelle de ce professeur repose sur son absence totale de préjugés et sa foi en une jeunesse dont il apprécie et célèbre la diversité. Le documentaire fleuve que lui a consacré la réalisatrice allemande Maria Speth se déroule le temps d’une année scolaire au cours de laquelle le prof et ses élèves vont apprendre à se connaître...

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la viol...