Film japono-franco-singapouro-philippino-indonéso-quatarien de Chie Hayakawa (2025), avec Yui Suzuki, Lily Franky, Hikari Ishida, Ayumu Nakajima, Yumi Kawai, Ryota Bando, Mark St. Cyr, Jeffrey Rowe… 1h59. Sortie le 10 septembre 2025.
Yui Suzuki
Dans son premier long métrage, Plan 75, lauréat d’une mention spéciale de la Caméra d’or en 2022, la réalisatrice Chie Hayakawa s’attachait au traitement de choc réservé aux seniors dans un futur proche. Cette émule d’Hirokazu Kore-eda franchit aujourd’hui un nouveau cap avec Renoir. Un titre intrigant qui renvoie en fait à “La petite Irène” de Pierre-Auguste dont on aperçoit une reproduction sur le mur d’un couloir d’hôpital devant laquelle la jeune héroïne se pose des questions existentielles, mais résonne de toute évidence aussi comme un cri du cœur sur le plan artistique. Dans ce qui ressemble à une chronique autobiographique, davantage par ses sentiments et ses sensations que par ses intrigues et ses situations, la cinéaste humaniste s’attache cette fois, à une gamine qui assiste au cours de l’été 1987 aux derniers jours de son père et à la dévastation que provoque sa disparition imminente chez sa mère souvent absente, en situation de stress et de surmenage. Une situation dramatique dont elle réussit à s’échapper grâce à son imagination fertile qui la confronte à des dangers bien réels à travers lesquels elle tente de prendre contact avec l’au-delà dans un jeu dangereux. Mais elle est à cet âge où certains enfants aiment à se faire peur, quitte à s’étourdir. Avec cette particularité que la famille n’est en aucun cas ici un refuge, mais un espace oppressant dont les protagonistes doivent s’échapper pour trouver du réconfort. C’est peu ou prou à l’âge qu’a la mère dans le film que la réalisatrice aborde symboliquement ce sujet douloureux envisagé comme une sorte de rite initiatique.
Yui Suzuki et Lily Franky
Chie Hayakawa excelle à transformer des petits riens en autant de composantes d’une tranche de vie toujours très subtile. Elle porte sur une situation tragique le regard déformant de sa jeune protagoniste qui interprète plus qu’elle ne se contente d’observer, mais ne dispose pas nécessairement d’une maturité suffisante. Bien qu’elle ne possède pas les codes de nature à décrypter ce à quoi elle assiste sans la protection d’un adulte, elle laisse vagabonder son imagination dans des zones habituellement interdites aux enfants qui témoignent de sa maturité hors du commun. La réalisatrice s’accroche toutefois à un parti-pris de retenue qui la conduit à traiter de problématiques graves sans solennité inutile. Elle dispose pour cela d’une interprète incroyable en la personne de la jeune Yui Suzuki, dans un rôle pourtant à haut risque qui passe par une grande retenue et un jeu plutôt intériorisé autour de problématiques assez vertigineuses et à tout le moins déroutantes. L’approche même de la mort est assez abstraite dans son traitement, ne serait-ce que par le rôle protecteur que la mère refuse d’assumer en se dérobant devant ses responsabilités. Comme si elle escomptait que cette épreuve contribuerait à faire grandir plus vite sa fille, même si c’est seule donc sans garde-fou ni protection pour l’aider à décrypter les événements dont elle est témoin dans une atmosphère délétère qui laisse peu de place aux mots. Il y a aussi une certaine dose de cruauté dans le portrait de ce personnage dont l’innocence est soumise à rude épreuve, avec une inconnue considérable qui marquera sans doute son avenir et influencera nécessairement ses rapports futurs avec les autres. Grandir peut parfois être une épreuve de vérité.
Jean-Philippe Guerand
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