Strichka chasu Documentaire ukraino-luxembourgo-néerlando-français de Kateryna Gornostai (2025) 2h05. Sortie le 10 septembre 2025.
L’école est l’antichambre universelle de la vie en société et, en tant que telle, l’un des univers les plus souvent évoqués par le cinéma, qu’il lui inspire des fictions, de Zéro de conduite de Jean Vigo à Entre les murs de Laurent Cantet, où attire des adeptes du cinéma du réel soucieux de prendre le pouls du monde de demain à travers ses citoyens en devenir. Premières classes a la particularité de se dérouler de nos jours en Ukraine et de montrer comment un pays victime de l’invasion de son voisin peut et doit s’accrocher à ses principes fondamentaux pour continuer à avancer en veillant à assurer les besoins essentiels de sa jeunesse et esquisser les perspectives du monde de demain. De la guerre si loin si proche (selon la situation géographique des écoles qu’a visitées la réalisatrice), le film nous montre quelques parents en treillis qui viennent chercher leurs enfants à la faveur d’une permission où se retrouvent lors d’une kermesse de fin d’année, des chants patriotiques entonnés en chœur et des alertes quotidiennes où personne ne cède à la panique mais remplit avec sang-froid une procédure obligatoire devenue routinière. Telle est le contexte particulier dans lequel grandit la jeunesse ukrainienne qui manifeste ainsi dès les bancs de l’école une capacité de résilience peu commune où l’insouciance elle aussi résiste à une situation qui pourrait être ô combien plus anxiogène dans bien des pays où la notion de patriotisme est moins un réflexe spontané.
Kateryna Gornostai passe d’une salle de classe à l’autre en s’approchant et en s’éloignant du front, la guerre proprement dite restant en quelque sorte hors champ. Elle livre ainsi un échantillonnage passionnant d’un pays qui a choisi de se défendre contre l’invasion de son voisin, tandis que la vie civile continue et qu’une nouvelle génération marche vers la lumière en apprenant. Vision idyllique d’une école idéale dont les élèves se serrent les coudes pendant que leurs parents combattent et qui a de quoi donner des leçons à bien des pays, y compris les plus civilisés. Bien sûr, il émane çà et là de cet état des lieux de l’éducation nationale ukrainienne des détails qui relèvent du patriotisme sinon de la propagande. La réalisatrice soigne à cet effet sa lumière, ses cadrages et le choix des enfants qu’elle filme. Reste qu’elle dresse le portrait d’une jeunesse qui grandit avec le sens des responsabilités, mais n’en perd pas pour autant son droit à l’innocence. Ces enfants et ces adolescents, on a envie de savoir ce qu’ils vont devenir et dans quel état d’esprit ils vont grandir (sans doute plus rapidement que ceux de leur âge) et devenir à leur tour des citoyens responsables. Avec en filigrane des histoires personnelles dont le film ne nous révèle que peu d’éléments, mais dont on devine qu’elles comportent leur lot de morts, de mutilés, de prisonniers et de disparus. Ne jamais oublier que ces enfants ont vu disparaître pour certains tous ces innocents que l’armée russe a kidnappés avant d’effacer leurs traces. L’attitude qu’ils affichent face à la guerre est d’autant plus exemplaire qu’elle n’épargne personne. Pas même les enfants qui conservent leur innocence naturelle, mais mûriront sans doute un peu plus vite que ceux élevés dans un contexte plus protégé.
Jean-Philippe Guerand
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