Yes Film franco-germano-israélo-chypriote de Nadav Lapid (2025), avec Ariel Bronz, Efrat Dor, Naama Preis, Aleksey Serebryakov, Sharon Alexander, Pablo Pillaud-Vivien, Idit Teperson, Shira Shaish… 2h30. Sortie le 17 septembre 2025.
Efrat Dor et Ariel Bronz
En l’espace de cinq longs métrages, Nadav Lapid a acquis la réputation d’un cinéaste sulfureux voire d’un traître à sa patrie, parce qu’il dit ce qu’il pense et représente en quelque sorte une minorité silencieuse qui se révèle tapageuse et surtout subversive devant sa caméra, là où dans la réalité elle semble tétanisée par la tournure des événements. Autant dire que son nouvel opus était redouté pour la polémique qu’il risquait de susciter, non seulement en Israël mais parmi sa diaspora. Sur la Croisette, la présidente du Festival de Cannes, Iris Knobloch, a usé de son influence pour l’écarter de la sélection officielle, de peur de créer un incident diplomatique. Une véritable aubaine pour la Quinzaine des cinéastes qui en a fait l’un de ses événements majeurs. À l’arrivée, il semble que la montagne ait accouché d’une souris dont le cri n’est pas particulièrement harmonieux. Le réalisateur choisit pour personnage principal un alter ego plutôt passif qui subit une situation sur laquelle il ne peut exercer aucune prise. Il y a chez ce dandy branchi-brancha qui évolue dans un monde artificiel quelque chose du Conformiste d’Alberto Moravia immortalisé par Bernardo Bertolucci. Il rechigne à s’engager et considère dans une certaine mesure que le salut réside dans la fuite. Cette politique de l’autruche inspire à Nadav Lapid un constat cynique dont le dénouement fait écho à l’actualité la plus brûlante, le film ayant été irrigué par le pogrom du 7 octobre 2023, mais dépassé depuis par la tournure tragique des événements dans la Bande de Gaza transformée en terrain de chasse dont les médias ne peuvent pas témoigner. Il est d’autant plus important de situer le film dans son contexte exact qu’il est de ceux qui risquent de se démoder très rapidement, en fonction des aléas incessants de l’actualité.
Ariel Bronz et Aleksey Serebryakov
Derrière son titre ironiquement positif, Oui est en fait un désaveu cinglant de la politique israélienne qui essaie de prendre un minimum de recul, mais aussi un cri de désespoir universel contre la soumission mis en scène parfois comme les jeux du cirque au rythme d’une transe de techno. Nadav Lapid semble avoir succédé à Amos Gitaï dans le rôle de trublion. Ses protagonistes sont des artistes traités en tant que tels par des notables qui leur demandent de les divertir : une danseuse et un musicien de jazz chargé de créer un nouvel hymne national dans un contexte abrasif. Ce personnage dénommé Y se laisse balloter par son environnement sans réagir et se voit rattrapé par la politique qu’il a toujours tenu à l’écart et dont le drapeau omniprésent est l’oriflamme guerrier. Une situation hautement inconfortable pour un type qui ne semble penser qu’à s’amuser et dont la fonction sociale consiste à divertir des gens qui aimeraient bien détourner son talent artistique au service de leur cause. Nadav Lapid exerce un regard à la fois cynique et désabusé sur ce mouton enragé emporté malgré lui dans un tourbillon de cynisme et de médiocrité. Il y a dans la description de cette classe dominante composée de nouveaux riches au clinquant ostentatoire un regard sans pitié qui rejoint à bien des égards celui de Ruben Östlund. Avec ce constat terrifiant à la clé : le pouvoir de l’argent est désormais d’actualité partout et c’est lui qui asservit les hommes dans un revival sournois, grotesque et vulgaire de l’esclavagisme façon Rome antique. Quant à ces victimes à la bouche cousue, elles n’ont d’autre issue que de se transformer en courtisans chargés de divertir leurs maîtres en se soumettant à leur loi. Et là, Lapid charge la barque sans modération. Pouce baissé !
Jean-Philippe Guerand
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