Film franco-belge de Marie-Hélène Roux (2025), avec Isaach de Bankolé, Vincent Macaigne, Manon Bresch, Déborah Lukumuena, Babetida Sadjo, Soliane Moisset, Yves-Marina Gnahoua, Dada Stella Kitoga Bitondo, Joely Mbundu, Jennifer Heylen, Agathe de La Boulaye… 1h45. Sortie le 24 septembre 2025.
Isaach de Bankolé et Vincent Macaigne
Les hommes de bonne volonté existent. C’est même généralement à la faveur des circonstances les plus extrêmes qu’ils se révèlent. L’exploitation des mines en République démocratique du Congo a ainsi engendré une systématisation des viols et autres violences faites aux femmes comme véritables armes de guerre, dans le but d’effrayer la population locale et de la chasser de ses terres ancestrales. Jusqu’au moment où un chirurgien local avisé de cette situation a décidé de se consacrer à la réparation de ces atteintes considérées jusqu’alors comme irréversibles. Déjà immortalisé par le documentariste Thierry Michel dans son film L’homme qui répare les femmes couronné d’un Magritte en 2016, Denis Mukwege a rencontré dans son combat un allié de choix en la personne de Guy-Bernard Cadière, un confrère belge qui a mis au point quant à lui une technique opératoire évitant d’avoir à ouvrir les corps, donc d’ajouter encore de la douleur à la souffrance. Il considère d’ailleurs ses instruments comme des extensions de ses doigts. Ensemble, à l’hôpital de Panzi, ils ont lutté vaillamment dans un contexte hostile où les victimes étaient culpabilisées par le reste de la population et en ont tiré le livre “Panzi” (Éditions du Moment, 2014) qui inspire le film. Ce sont ces deux destins hors-normes qu’il relate avec une générosité qui ne peut que susciter un double sentiment de révolte et de compassion face à une violence systémique marquée par des mutilations génitales d’une barbarie absolue. “ Je les répare, mais elles me réparent aussi ”, déclare d’ailleurs ce chirurgien hors du commun confronté à une population féminine dépossédée d’elle-même qui résiste à son sort par une sororité exemplaire, mais également menacé par des hommes animés de très mauvaises intentions. Par son statut particulier de métisse, la fille de Guy-Bernard Cadière est particulièrement sensible à ces situations tragiques qui ne sont plus désespérées.
Vincent Macaigne
Marie-Hélène Roux aborde ce biopic comme une hagiographie assumée qui déborde en tant que telle d’allusions religieuses. À l’image de cette victime hagarde qui erre comme une âme en quête de repos dans un environnement hostile, rendue folle par l’éventualité que son calvaire se répète indéfiniment. La séquence au cours de laquelle elle traverse pieds nus un tas de cendres fumantes est à ce titre éloquente de la profonde religiosité qui traverse le film, le docteur Mukwege (que ses ouailles appellent “Papa”) étant montré par ailleurs comme croyant. On le voit même prêcher devant sa communauté. C’est en quelque sorte un véritable saint laïc dont le film dresse le portrait comme une sorte de fils spirituel du père Charles de Foucaud et du docteur Schweitzer. Avec en toile de fond une Afrique post-coloniale devenu un enjeu majeur pour des multinationales qui pillent son sous-sol en exploitant la main d’œuvre locale et en sacrifiant le corps des femmes. Le trop rare Isaac de Bankolé devenu jeune la coqueluche d’auteur comme Claire Denis, Jim Jarmusch ou Lars von Trier, mais aussi un interprète récurrent de la superproduction Black Panther, trouve là l’occasion d’une composition magistrale dont l’autorité passe par sa voix si particulière et un charisme qui sied à ce rôle pour lequel il a été primé au festival d’Angoulême. Vincent Macaigne excelle quant à lui sur le registre d’une maladresse très touchante. Certains taxeront sans doute Muganga - Celui qui soigne de prêchi-prêcha sulpicien. C’est ignorer l’action bénéfique du docteur Mukwege, Prix Nobel de la paix 2018, et son effet curatif sur ces femmes congolaises avilies et souillées auxquelles il est parvenu à redonner une raison de vivre et à retrouver un semblant de dignité, alors même qu’elles étaient bien souvent mises au ban de la société voire assimilées à des prostituées. Une attitude qui l’a mené jusqu’à l’ONU où il a sensibilisé l’assemblée à la cause des femmes congolaises. Le premier pas vers la récupération de leur dignité humaine réside dans la mise en avant de leur prénom et le fait qu’elles en viennent à accepter des enfants nés d’un viol. Le retentissement considérable du film parmi le public du festival d’Angoulême ajouté à l’implication d’Angelina Jolie en tant que productrice et la composition par Gims d’une chanson témoignent de la nécessité évidente de cette œuvre de salubrité publique.
Jean-Philippe Guerand
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