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“Les tourmentés” de Lucas Belvaux



Film belgo-français de Lucas Belvaux (2025), avec Niels Schneider, Ramzy Bedia, Linh-Dan Pham, Déborah François… 1h53. Sortie le 17 novembre 2025.



Linh-Dan Pham



Au début, il y a un roman. Le premier écrit par Lucas Belvaux qui a fini par se résoudre à en tirer un scénario, sans bizarrement l’avoir en aucun cas prémédité. Une tâche d’autant plus ardue que le livre était composé de monologues intérieurs qu’il eût été vain de chercher à transposer tels quels, sous peine de perdre une bonne partie des spectateurs en route. Le réalisateur a donc dû se battre au corps-à-corps avec l’écrivain pour obtenir gain de cause en donnant une nouvelle raison d’être à sa prose. De ce combat d’homme à homme est né un film d’autant plus étonnant qu’il semble reposer sur un dispositif annoncé. Une riche veuve dépourvue d’états d’âme propose un étrange marché à un ancien légionnaire devenu SDF et recruté par son homme de confiance qui fut naguère son supérieur : devenir son gibier lors d’une chasse à l’homme en bonne et due forme. En échange, cet homme déchu pourra jouir d’une petite fortune, retrouver sa dignité pendant les quelques mois qui le séparent de cette échéance et assurer l’avenir de son épouse avec laquelle il va renouer en retrouvant sa dignité. Sinon que rien ne va tout à fait se passer comme prévu… Sur un point de départ qui rappellera aux cinéphiles l’argument des Chasses du comte Zaroff (1932), Lucas Belvaux élabore une mécanique de précision qu’il semble prendre ensuite un malin plaisir à détruire, en montrant que le poids des impondérables peut s’avérer parfois le plus fort. C’est évidemment la composante psychologique de cette histoire qui a ses faveurs.



Linh-Dan Pham



Les tourmentés répond à un dispositif soigneusement ordonné. Son issue ne laisse à cet effet aucune place au doute. Arraché à la misère, son anti-héros retrouve goût à la vie et à l’amour, alors qu’il égrène les jours d’un compte à rebours implacable en profitant au maximum de ce répit. Belle composition de Niels Schneider en vétéran au cerveau embrouillé par les souvenirs qui renaît par la grâce de celle qu’il croyait avoir perdue, alors qu’elle avait refusé de le suivre dans l’abîme et d’y précipiter leur enfant. Composition remarquable de la trop rare Déborah François à la carrière pourtant exemplaire. Et que dire de Ramzy Bedia qui prend désormais tous les risques sans jamais forcer le ton, comme tant de comiques désireux de prouver que la tragédie leur sied aussi ? Pour avoir cru en lui parmi les premiers, Baya Kasmi lui a permis de déployer ses ailes avec Youssef Salem a du succès puis Mikado. Lucas Belvaux et, dès la semaine prochaine, Antony Cordier dans Classe moyenne confirment cette mue spectaculaire. Mention spéciale enfin à une comédienne trop rare, Linh-Dan Pham, César 2006 du meilleur espoir féminin pour De battre mon cœur s’est arrêté de Jacques Audiard, treize ans après sa révélation dans Indochine de Régis Wargnier, cette toute jeune quinquagénaire témoigne aujourd’hui d’une maturité de nature à lui valoir des rôles d’une densité nouvelle. C’est elle l’organisatrice de cette partie de chasse sous le signe de la lutte des classes dont Lucas Belvaux tire un parti fort inattendu en prenant tous les risques. Y compris celui de dérouter.

Jean-Philippe Guerand






Ramzy Bedia et Linh-Dan Pham

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