Film franco-allemand de Lucile Hadžihalilović (2025), avec Marion Cotillard, Clara Pacini, August Diehl, Gaspard Noé, Lilas-Rose Gilberti, Marine Gesbert, Dounia Sichov, Romain Reboul… 1h58. Sortie le 17 septembre 2025.
Clara Pacini
Lucile Hadžihalilović fait partie de ces cinéastes adulés par un groupe d’aficionados qui leur permet d’avancer sans se retourner, ni même avoir à rendre de comptes quant à ses performances commerciales. Le box-office de l’épouse de Gaspard Noé est à ce titre éloquent. Les performances de ses trois premiers films s’échelonnent de… 1 957 entrées-France pour Earwig (2023), le précédent, à… 8 723 spectateurs pour Innocence (2005), son premier long métrage. C’est dire combien elle bénéficie d’un statut précaire, bien que sa réputation ait largement débordé des frontières françaises, qu’elle soit soutenue depuis ses débuts par un noyau critique très influent et que tous ses films aient été primés dans les festivals internationaux. Le nouveau a ainsi obtenu l’Ours d’or de la meilleure contribution artistique à la Berlinale. La réalisatrice en a par ailleurs confié le rôle principal à Marion Cotillard qui tenait déjà un emploi secondaire dans Innocence. Elle incarne cette fois une actrice des années 70 qui tourne une adaptation de La reine des neiges dans un studio où vient se réfugier une orpheline adolescente qui jette son dévolu sur elle. On retrouve là la fascination de la réalisatrice pour les jeunes filles confrontées au monde et à ses multiples dangers. Sur le plan narratif, elle confirme en outre sa fascination pour les contes et ce qu’elle doit au cinéma baroque de Dario Argento qui l’a tant influencée et à qui elle adresse un clin d’œil à travers le réalisateur fantasque qu’incarne Gaspar Noé. C’est par ailleurs la troisième fois qu’elle collabore avec Geoff Cox qui a également contribué à l’écriture de High Life de Claire Denis.
La tour de glace s’impose immédiatement par sa splendeur esthétique. À une époque où le numérique est devenue une panacée universelle, Lucile Hadžihalilović est une fille de Georges Méliès qui a l’audace de croire à la magie du cinéma forain, celui des maîtres de l’illusion. Chez elle, les effets spéciaux revendiquent leur caractère artisanal et contribuent à créer un univers à la lisière du fantastique, d’autant plus prégnant ici que la structure du film dans le film valide toutes ses audaces en nous entraînant dans une spirale vertigineuse. Il émane de ces images de neige une beauté envoûtante qui renvoie aux premiers temps du cinématographe, cette époque lointaine où les réalisateurs étaient capables de prendre les risques les plus fous pour parvenir à leurs fins, avant même l’irruption du son, de la parole et de la couleur. Lucile Hadžihalilović filme Marion Cotillard comme naguère David W. Griffith ou Viktor Sjöström observaient Lillian Gish. Elle la regarde aussi avec les yeux de cette petite fille qui succombe à son charme et en vient à ne plus distinguer l’actrice du personnage féérique qu’elle interprète. On est évidemment aux antipodes de la version Disney de La reine des neiges, dans un dispositif inspiré de “Psychanalyse des contes de fées” de Bruno Bettelheim où le cauchemar sert à expurger les pensées les plus noires. La tour de glace est de ces œuvres qui vous fascinent puis vous hantent, sans qu’on sache vraiment en élucider les mystères les plus insidieux. C’est en tout cas le film le plus abouti de sa metteuse en scène. Peut-être aussi celui qui lui permettra enfin de toucher un public plus vaste. C’est tout le mal qu’on lui souhaite.
Jean-Philippe Guerand
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