Film roumano-brésilo-suisso-britannique de Radu Jude (2025), avec Eszter Tompa, Gabriel Spahiu, Adonis Tanta, Oana Mardare, Annamária Biluska, Ilinka Manolache, Serban Pavlu, Marius Damian, Nicodim Ungureanu, Dan Ursu, Vlad Semenescu, Daniel Paleacu, Theodor Graur… 1h49. Sortie le 24 septembre 2025.
Cinéaste chéri des festivals, et notamment de la Berlinale qui lui a décerné le prix de la mise en scène en 2015 pour Aferim !, l’Ours d’or en 2021 pour Bad Luck Banging or Loony Porn et le prix du meilleur scénario cette année pour Kontinental ’25, le Roumain Radu Jude revendique haut et fort son attachement à un statut de franc-tireur qui justifie toutes ses audaces. La plus notable est sans doute son rythme de tournage qui lui vaut de sortir simultanément sa version très personnelle de Dracula, en se réappropriant ce héros national aux dents longues deux mois seulement après le bide de Luc Besson, et ce Kontinental ’25 dans lequel il se livre à son activité favorite : décrire les paradoxes de la société qui l’entoure. Il s’attache cette fois à une sorte de clochard céleste qui vit selon ses besoins et ses envies, pisse quand il veut et où il veut, bref défie ces citoyens exemplaires qui l’ont condamné à une existence de SDF. Son quotidien apitoie autant qu’il fait sourire, tant il reflète son anticonformisme bien innocent. Jusqu’au moment où il va devenir un cas d’école, quand une huissière de justice chargée de l’expulser d’une cave va s’efforcer de le faire sortir de l’anonymat comme l’aiguillon de la mauvaise conscience collective trop longtemps anesthésiée par le mirage consumériste. On connaît le mauvais esprit de ce cinéaste qui n’appartient pas du tout à la fameuse nouvelle vague roumaine et s’acharne à creuser son propre sillon sur des durées volontiers atypiques sans se retourner. Une détermination à toute épreuve qui ne fait que conforter son intégrité.
Eszter Tompa (à gauche)
Bien malin qui pourrait déterminer la tendance politique véritable dont relève Kontinental ’25 que son auteur dit avoir conçu comme une critique du libéralisme qui a mené un ancien pays communiste à accroître la fracture sociale à vitesse accélérée et à encourager l’individualisme au détriment de l’entraide et de la solidarité. Et cela même si Radu Jude prend le parti des opprimés et s’efforce de donner la parole à ceux qui ne l’ont jamais, à travers ce personnage de paria pittoresque de la société dont la mort pèse aussi peu que la vie qui l’a précédée. Lointain descendant de Boudu sauvé des eaux que personne n’écoute mais que tout le monde entend dans un monde où l’égoïsme est devenu une véritable armure. Sur le plan formel, le cinéaste roumain qui revendique l’influence de Roberto Rossellini a opté pour un dispositif minimaliste : tournage à l’iPhone en onze jours et en parallèle de celui de Dracula dans la ville transylvanienne de Cluj qui arbore les stigmates du récent boom économique et constitue en ce sens un authentique laboratoire de la Roumanie de demain dans un cadre traditionnel faussement rassurant. Des options radicales qui ne font que servir son sujet et illustrent son appétence pour ce cinéma guérilla auquel il revient régulièrement dans un souci d’indépendance et de liberté qui explique aussi son rythme de production soutenu. Certains verront sans doute dans Kontinental ’25 une satire politique. C’est en tout cas l’état des lieux d’un monde sans pitié qui a émergé de la misère pour retomber aussitôt dans l’enfer d’un capitalisme décomplexé où l’homme est plus que jamais un loup pour ses congénères. Le constat est amer.
Jean-Philippe Guerand
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