Accéder au contenu principal

“King of Kings : à la poursuite d’Edward Jones” de Harriet Marin Jones



King of Kings : Chasing Edward Jones Documentaire américano-français de Harriet Marin Jones (2022) 1h38. Sortie le 10 septembre 2025.



Edward Jones



Il y a un quart de siècle, Harriet Marin avait signé une comédie sentimentale intitulée Épouse-moi (1999) qui réunissait Michèle Laroque et Vincent Perez. On ignorait alors à peu près tout de l’histoire familiale de cette cinéaste franco-américaine qui a poursuivi son petit bonhomme de chemin, écrit des scénarios, le pilote d’une série TV et deux romans, mis en scène une pièce de boulevard à succès, tout en se diversifiant dans des activités multiples parmi lesquelles deux plateformes de formations en ligne qui lui ont permis de produire un documentaire dont le sujet lui tenait particulièrement à cœur. Harriet Marin est en effet la petite fille d’un personnage éblouissant et sulfureux, Edward Jones, un descendant d’esclaves et fils de pasteur qui est parvenu à échapper à sa condition en quittant le Mississippi raciste et suprémaciste avant de contribuer pour une bonne part à faire de Chicago une ville prospère dans les années 30 et 40. Tout cela grâce à la fortune que lui a rapporté le Policy Business, un jeu de loto de son invention déclaré illégal, mais pratiqué dans la clandestinité à l’époque de la Prohibition. Une cité volontiers associée à la pègre où ce brillant capitaine d’industrie aidé de ses frères exerce ses activités de promoteur avec à la clé une réussite financière et politique (il fait passer Chicago dans le camp démocrate) qui passe parfois par des relations douteuses et des méthodes peu orthodoxes, mais lui vaut aussi d’épouser une danseuse du fameux Cotton Club. Un entrepreneur que sa chute a jeté en prison, puis précipité dans les oubliettes de l’histoire et dont la destinée rocambolesque aurait pu contribuer à faire évoluer les mentalités d’une Amérique frappée par la Grande Dépression qui n’était pas prête à admettre le triomphe d’un homme de couleur, malgré son talent, son charisme et sa philanthropie. De là à le jeter aux oubliettes…



Quincy Jones et Harriet Marin Jones



Harriet Marin, qui a désormais intégré le patronyme familial de Jones au sien, évoque l’incroyable histoire de ce Self Made Man avec une richesse iconographique, sonore et cinématographique qui donnent à son film l’ampleur d’une véritable épopée sur fond de ségrégation raciale. Une destinée singulière et inconnue qui trouve de troublants échos dans les États-Unis d’aujourd’hui et a incité son homonyme, le grand Quincy Jones, à s’associer à ce projet mémoriel qui a accumulé les trophées dans les festivals internationaux en suscitant des ovations légitimes. King of Kings : à la poursuite d’Edward Jones n’est pas une hagiographie, mais plutôt la chronique d’une personnalité oubliée de l’histoire des États-Unis dont la destinée fait figure d’exemple pour la communauté noire, mais aussi l’Amérique toute entière. Ce documentaire tire sa richesse de sa documentation extraordinaire (avec une mention spéciale pour sa bande originale) qui nous permet de croiser maintes icônes de son époque, du boxeur Joe Louis aux pionniers du jazz que furent Billie Holiday, Louis Armstrong, Cab Calloway et Duke Ellington, ou le peintre mexicain Diego Rivera. On se prend à rêver au film de fiction incroyable que pourrait engendrer ce documentaire passionnant si un studio hollywoodien acceptait de le financer. Avec en guise de sous-texte un message fondamental sur la face cachée de l’Amérique et son combat toujours inachevé en faveur des droits civiques. En réussissant à brasser ces multiples thèmes avec un sens du récit palpitant, Harriet Marin en tire une fresque d’une rare ampleur qui montre un aspect caché et glorieux de la longue marche vers la liberté de la communauté afro-américaine opprimée. Ce film est une pure merveille que tout le monde devrait voir. Pour l’exemple.

Jean-Philippe Guerand




Trois visages d’Edward Jones

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva...

Berlinale Jour 2 - Mardi 2 mars 2021

Mr Bachmann and His Class (Herr Bachmann und seine Klasse) de Maria Speth (Compétition) Documentaire. 3h37 Dieter Bachmann est enseignant à l’école polyvalente Georg-Büchner de Stadtallendorf, dans le Nord de la province de Hesse. Au premier abord, il ressemble à un rocker sur le retour et mêle d’ailleurs à ses cours la pratique des instruments de musique qui l’entourent. Ses élèves sont pour l’essentiel des enfants de la classe moyenne en majorité issus de l’immigration. Une particularité qu’il prend constamment en compte pour les aider à s’intégrer dans cette Allemagne devenue une tour de Babel, sans perdre pour autant de vue leurs racines. La pédagogie exceptionnelle de ce professeur repose sur son absence totale de préjugés et sa foi en une jeunesse dont il apprécie et célèbre la diversité. Le documentaire fleuve que lui a consacré la réalisatrice allemande Maria Speth se déroule le temps d’une année scolaire au cours de laquelle le prof et ses élèves vont apprendre à se connaître...

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la viol...