Film franco-belge d’Antony Cordier (2025), avec Laurent Lafitte, Élodie Bouchez, Ramzy Bedia, Laure Calamy, Sami Ouatalbali, Noée Abita, Mahia Zrouki… 1h35. Sortie le 24 septembre 2025.
Ramzy Bedia, Laure Calamy et Mahia Zrouki
La lutte des classes n’a pas disparu. Elle ne demande même qu’à se réveiller. Comme ce jour funeste où une famille bourgeoise en villégiature se trouve confronté aux ressentiments du couple de gardiens qui veille à l’année sur sa propriété. Un simple malentendu qui va dégénérer en faisant affluer moult haines recuites. On reconnaîtra là un thème qui a souvent servi en littérature, au théâtre et au cinéma. Une vieille lune marxiste que le réalisateur coréen Bong Joon-ho a poussé à son paroxysme dans Parasite (2019), avec un succès planétaire à la clé qui en dit long sur l’état de notre pauvre monde, toutes latitudes comprises. Telle n’est pas exactement l’ambition d’Antony Cordier, connu jusqu’alors pour son humour acide et une empathie absolue et communicative pour ses personnages, de Douches froides (2005) à Gaspard va au mariage (2017) et à la série “Ovnis”. Il émerge donc bille en tête de sa zone de confort pour dresser le portrait craché de deux mondes qui coexistaient pacifiquement dans une sorte de paix des braves tacite et qu’un simple incident va transformer en une guerre totale. Un avocat d’affaires et sa famille viennent goûter à un repos estival bien mérité dans leur résidence secondaire au luxe ostentatoire. Avec un nouveau venu parmi eux : le petit ami de leur fille issu d’un milieu modeste mais promis à un brillant avenir qui va de pair avec sa promotion sociale. Très vite, un conflit éclate entre les propriétaires et leurs employés qui ne retirent pas exactement le profit escompté de leur dévouement. Avec comme arbitre involontaire ce jeune homme tiraillé entre ses origines populaires et ses ambitions personnelles.
Élodie Bouchez et Laure Calamy
Classe moyenne repose sur l’épuisement d’une situation absurde qui révèle des kyrielles de non-dits et de malentendus. Faute d’avoir cherché à communiquer normalement pendant des années, les patrons et leurs gardiens laissent libre cours à tous leurs ressentiments accumulés. Avec entre eux cet étudiant mal à l’aise qui passe en quelque sorte son permis de circuler parmi la grande bourgeoise et que le père aimerait pouvoir manipuler à sa guise, là où ses employés le considèrent comme un traître. Un tel postulat ne peut fonctionner que s’il s’appuie à la fois sur une dramaturgie impeccable et une interprétation hors pair. La seconde partie de ce contrat est ici remplie avec un sens de l’équilibre étudié. Face aux nantis arrogants que campent Laurent Lafitte et Élodie Bouchez, le couple formé par Ramzy Bedia et Laure Calamy s’impose comme une évidence réjouissante, leurs enfants affichant quant à eux une connivence générationnelle qui attent vite ses limites. Il était fondamental que les parties antagonistes affichent des forces équilibrées pour que leur affrontement revête un sens. Ce conflit reflète en fait l’état de délabrement d’une société française qui n’a pas totalement digéré la nuit du 4 août et feint d’ignorer l’abolition des privilèges. Les puissants continuent à y abuser des plus fragiles et à utiliser leur argent comme une arme de dissuasion massive, alors même qu’ils rechignent à payer leurs dettes et s’exposent ainsi à la révolte des gueux. Le propos est violent et ne respecte personne. Il pointe du doigt une fracture sociale qui n’a cessé de se creuser et aboutit aujourd’hui à un dialogue de sourds. Sous ses allures trompeuses de comédie grinçante, Classe moyenne pointe du doigt la panne tragique de l’ascenseur social et les illusions perdues d’un monde dominé par la polarisation où plus personne n’arrive à communiquer. Constat cruel pour un film qui fait rire jaune d’un monde sans pitié dans lequel la raison du plus fort reste toujours la meilleure. Surtout s’il est riche…
Jean-Philippe Guerand
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