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“Ciudad sin sueño” de Guillermo Galoe



Documentaire hispano-français de Guillermo Galoe (2025), avec Fernández Gabarre, Bilal Sedraoui, Fernández Silva, Luis Bertolo, Felisa Romero Molina, Pura Salazar… 1h37. Sortie le 3 septembre 2025.





Le cinéma du réel ne cesse de rendre plus poreuse la frontière ténue qui sépare la fiction du documentaire. C’est ainsi en s’immergeant parmi la communauté rom qui vit dans un bidonville de la périphérie de Madrid que Guillermo Galoe a trouvé l’inspiration de son premier long métrage, couronné du prix de la SACD dans le cadre de la Semaine de la critique. Il s’y immerge parmi ces gens qu’il a côtoyés et apprivoisés préalablement pendant des mois et emploie le ton de la chronique pour multiplier les récits entrecroisés et montrer pourquoi un changement de mode de vie serait de nature à menacer l’harmonie même de ces nomades sédentarisés qu’on s’est habitués à croiser sans les voir. La scène la plus saisissante du film est sans doute celle au cours de laquelle une famille désireuse de bénéficier de son propre lieu de vie visite un appartement flambant neuf et réalise que cette promesse de confort risque d’avoir raison de sa liberté en constituant un acte de trahison caractérisé par rapport à une philosophie de la vie ancestrale parfois déconnectée de la réalité. Le film s’attache plus particulièrement à Toni, un adolescent de 15 ans tiraillé entre la pression de son grand-père qui défend des traditions difficilement compatibles avec les aléas du monde d’aujourd’hui et la tentation de se connecter définitivement à son époque pour mieux se mêler aux autres jeunes gens de son âge.





Ciudad sin sueño (littéralement “La ville sans rêves”) nous propose une expérience fascinante qu’on pourrait qualifier d’immersive, au plein sens de ce terme en usage dès lors qu’on évoque la réalité virtuelle et toutes les fenêtres qu’elle ouvre sur le monde. Guillermo Galoe prolonge là une aventure commencée avec son court métrage Aunque es de noche (“Malgré la nuit”) sur une veine sociologique qui traite de la disparition d’une communauté rom en proie à la désertion de ses forces vives, une jeunesse à qui la mondialisation et les réseaux sociaux ont appris à succomber aux tentations d’une vie qu’on pourrait qualifier de bourgeoise. Ce documentaire riche en moments de vie arrachés à l’oubli est donc un témoignage précieux sur un monde en voie de disparition qui endure du même coup la perte lente de son identité. Le regard que porte le réalisateur sur ce monde à part dont le folklore musical reste la dernière revendication culturelle fait toute la différence par sa capacité à tirer de son sens de l’observation de purs moments de fiction. Comme autant de suppléments d’âme offerts à ce peuple qui inspira naguère à des réalisateurs aussi différents que Tony Gatlif et Emir Kusturica des gestes de cinéma mémorables auquel ce film ajoute désormais un codicille précieux.

Jean-Philippe Guerand





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