Yin’ād ‘Alīku Film palestino-germano-franco-qataro-italien de Scandar Copti (2024), avec Manar Shehab, Toufic Danial, Wafaa Aoun, Raed Burbara, Meirav Memoresky, Imad Hourani… 2h04. Sortie le 3 septembre 2025.
Raed Burbara et Manar Shehab
Il arrive que certains films soient submergés par le réel. C’est le cas du nouveau film de Scandar Copti, prix du scénario dans la section Orizzonti de la Mostra de Venise 2024 donc probablement conçu avant les massacres du 7 octobre de l’année précédente et la destruction de la Bande de Gaza dans le but d’anéantir le Hamas et de libérer ses otages israéliens. L’action de Chroniques d’Haïfa - Histoires palestiniennes, se déroule à l’autre bout du pays, dans une ville portuaire réputée alors pour la cohabitation de ses multiples communautés. Le réalisateur y inscrit une histoire à quatre voix qui reflète les paradoxes et les contradictions de cette ville construite toute en hauteur. Quinze ans plus tôt, dans son premier long métrage signé avec Yaron Shani, le magistral Ajami, les deux compères entremêlaient déjà de multiples destins avec une rare virtuosité, en dessinant un portrait magistral de ce melting-pot qu’est devenu Israël au fil de sa jeune histoire. Il persiste et signe, cette fois en se concentrant autour d’une famille palestinienne presque comme les autres dont on suit le père, la mère, la fille et le fils emportés dans un tourbillon de sentiments et de sensations qui les renvoient à des interrogations existentielles. Avec pour conséquences immédiates de les diviser, de les opposer et de les rapprocher pour des raisons qui relèvent avant tout du cœur même de l’intime. Le réalisateur décrit ces quatre protagonistes et leur entourage proche avec une empathie généreusement partagée et se garde bien de les juger. Au point qu’ils pourraient sans doute vivre ailleurs sans que leur destin s’en trouve fondamentalement bouleversé, la composante sociétale se trouvant ici déconnectée du contexte politique.
Manar Shehab
Loin de chercher à reproduire les allers-retours incessants qu’Ajami ordonnait entre ses très nombreux personnages, ce nouveau film resserre la focale sur l’évolution des mœurs au sein d’une communauté confrontée à ses traditions qui s’avère perméable au monde extérieur, à travers un événement aussi universel qu’une grossesse et les conséquences qu’elle implique ou un questionnement identitaire qui ressemble à celui des Occidentaux confrontés à un éventail élargi de pratiques sexuelles banalisées dont l’évidence n’est pas la même dans certaines sociétés archaïques encore conditionnées par le respect des traditions. Affleure donc aussi le fameux spectre du conflit des générations. La réussite du film passe par sa capacité à se concentrer autour de la cellule originelle de la société, la famille, pour explorer son rapport au monde et sa capacité à intégrer ses nouveaux codes relationnels, en traitant chaque personnage à la fois avec et sans les autres, sans en privilégier ou en négliger aucun. Sandar Copti ne cache d’ailleurs pas que son écriture s’appuie en priorité sur des caractères humains, avec une priorité accordée à ceux qui souffrent le plus. Il choisit en outre ici de se concentrer sur une famille palestinienne intégrée elle-même dans la société israélienne et en confie les rôles principaux à des non-professionnels utilisés comme de véritables cobayes et encouragés en tant que tels à réagir spontanément à des situations précises. Une alchimie qui fonctionne à merveille et confère une rare authenticité à cette chronique familiale dont le titre français trop explicite ne constitue pas le plus sûr atout. Ces Histoires palestiniennes nous concernent tous par la vision qu’elles renvoient d’un monde en constante ébullition peuplé pour l’essentiel de gens comme les autres dont les préoccupations ressemblent aux nôtres.
Jean-Philippe Guerand
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